24 janvier 2022

Thierry Mugler, le couturier de la démesure, est mort à l'âge de 73 ans

La mode française perd l'un de ses géants à la veille de la semaine de la haute couture parisienne. Thierry Mugler, qui a régné sur la mode des années 1980 et continuait de ravir des stars internationales avec ses tenues spectaculaires aux silhouettes marquées, est mort le 23 janvier à l'âge de 73 ans de "mort naturelle", a annoncé son attaché de presse à l'AFP.

"Nous avons l'immense tristesse de vous faire part du décès de Monsieur Manfred Thierry Mugler", est-il également écrit dans un communiqué publié sur le compte Facebook du créateur. "Que son âme repose en paix." Selon son attaché de presse, la mort du grand couturier est survenue de façon inattendue dimanche après-midi. Il avait encore des projets et devait annoncer de nouvelles collaborations en début de semaine, a-t-il précisé.

Né à Strasbourg en décembre 1948, Mugler est engagé à 14 ans dans le corps de ballet de l'Opéra du Rhin avant de suivre des cours à l'école des arts décoratifs de la capitale alsacienne. Il crée déjà ses propres vêtements à partir de ceux achetés dans les marchés aux puces. A 20 ans, il gagne Paris à la recherche d'un engagement dans un autre corps de ballet. Il aura plus de succès avec sa garde-robe personnelle. Thierry Mugler devient très vite styliste free-lance et travaille pour différentes maisons à Paris, Londres et Milan.

Thierry Mugler crée sa propre griffe Café de Paris en 1973, avant de fonder la société Thierry Mugler un an plus tard. Ses silhouettes structurées et sophistiquées s'étaient rapidement imposées. La "femme Mugler", aux épaule accentuées, décolletés plongeants et tailles corsetées, a fait le tour du monde, de Jerry Hall à Kim Kardashian. 

Objet de fantasmes, la femme Mugler est un outrage à la pudeur, une sirène galactique, un robot cybernétique, un animal fantastique... Elle est une hell's angel dans son bustier Harley-Davidson ou une Marilyn dans un fourreau en guipûre caoutchouc rose chair. Sa couture vit aussi le jour avec des tailleurs à basques reconnaissables au premier coup d'oeil.

Metteur en scène dans l'âme, il avait marqué les esprits en devenant pionnier, dès les années 1970, des défilés à grand spectacle. Il s'était plus tard lancé dans la création de parfums, son premier modèle féminin Angel lancé en 1992 connaissant un très grand succès, jusqu'à disputer la première place des ventes au mythique N°5 de Chanel.

Mugler, qui a régné sur la mode des années 80, a le spectacle dans le sang: pour le dixième anniversaire de sa maison, en 1984, il organise la première présentation de mode publique en Europe, au Zénith, devant 6.000 personnes, comme un concert de rock. Les billets étaient vendus 178 francs (27 euros) l'unité. Le défilé, placé sous le signe du liturgique, du divin et du mysticisme, s'est déroulé sur un podium de 35 mètres. Comme d'habitude, il contrôle tout, des accessoires à la bande-son. "Ma mesure c'est la démesure", disait-il.

Pour le 20e anniversaire, le créateur choisit le Cirque d'hiver. 75 stars et mannequins, de Naomi Campbell et Jerry Hall à l'héritière américaine Patricia Hearst, l'actrice Tippi Hedren et même James Brown en final surgissant d'une étoile géante aux rythmes de "Sex Machine". 

Thierry Mugler, qui a lancé en 1978 une collection pour hommes, bénéficiera d'un formidable coup de publicité grâce au ministre de la Culture Jack Lang dont le costume "col Mao" signé du créateur provoquera en 1985 un scandale sur les bancs de l'Assemblée nationale.

Après avoir quitté la mode, le couturier a d'ailleurs poussé l'art de la métamorphose jusqu'à devenir méconnaissable, corps et visage, en ayant recours au bodybuilding intensif et à la chirurgie esthétique, tout en s'engageant dans la méditation et le yoga. "La première urgence était de me réapproprier mon corps, éreinté par mes années de danse et de couture, comme une renaissance, une façon d'effacer le passé", a expliqué le couturier, revendiquant "(sa) nouvelle maison corporelle", et exigeant qu'on l'appella désormais "Manfred T. Mugler".

"Mugler voulait se détacher de la haute couture qui correspondait à une élite et montrer que les jeunes pouvaient aussi porter de la haute couture et que cela pouvait être autre chose qu'une robe pour aller à une soirée chic", avait à l'époque déclaré Thierry-Maxime Loriot, commissaire de l'exposition, produite à l'origine par le Musée des beaux-arts de Montréal. 

En 2013 et 2014, le couturier avait voulu "bousculer" l'art de la revue en lançant les "Mugler Follies" dans un théâtre parisien, transformé en cabaret. Danseuses singulières de la filiforme au modèle Botero, ventriloques, cantatrice, chanteuse de fado, acrobates, numéros de force inédits : cela faisait "longtemps" qu'il voulait monter une revue, "un art libre, de joie de vivre et d'échange, sans message, où tout est possible", avait-il à l'époque confié à l'AFP. 

"La mode ne me manque pas vraiment", expliquait-il alors."Je fais beaucoup plus maintenant : de l'architecture, du design, monter une revue, mettre en scène... Quand j'étais couturier, c'était une mise en scène journalière proposée à des clientes. Maintenant, c'est une narration, une histoire, des shows, des films..."

Thierry Mugler s'était retiré de la mode en 2002 mais les icônes de la pop culture d'aujourd'hui comme Lady Gaga, Beyoncé, Cardi B ou Kim Kardashian arborent encore ses tenues d'archives pour les grandes occasions.

Ainsi en septembre 2021, pour l'inauguration de l'exposition "Thierry Mugler, Couturissime" au Musée des arts décoratifs à Paris, la rappeuse américaine Cardi B avait posé à ses côtés vêtue d'une spectaculaire robe à paillettes rouge, surmonté de plumes. Cette exposition avait été lancée fin septembre, au moment où la Fashion Week renouait avec les défilés après avoir été confinée pendant la pandémie. Un symbole pour celui qui fut le pionnier du défilé spectacle.

Parmi les dernières photos sur son compte Facebook, on pouvait voir Kim Kardashian, en tenue et chapeau de cow-bow métallisés, conçue pour elle pour Halloween par le créateur.

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