Dans une semaine, Anora aura peut-être achevé son marathon entamé en mai dernier, au Festival de Cannes, de la plus belle des manières. La Palme d'Or signée Sean Baker fait en effet figure de favori pour les deux prix majeurs (Meilleur Film et Meilleure Réalisation) de la 97ème cérémonie des Oscars, qui se tiendra dans la nuit du 2 au 3 mars en France.
En attendant, le long métrage s'est imposé comme le grand vainqueur des Independent Spirit Awards, les Oscars du circuit indé si l'on veut schématiser, avec trois récompenses majeures : Meilleure Actrice pour Mikey Madison, Meilleure Réalisation pour Sean Baker et Meilleur Film. Et le metteur en scène a profité du trophée qui lui a été remis pour appeler à sauver le cinéma indépendant américain dont il est le nouveau chef de file.
"Le cinéma indépendant est plus que jamais en difficulté", a-t-il déclaré après les remerciements de rigueur, envers son casting, sa productrice et partenaire Samantha Quan ou son distributeur. "Les jours où les ventes de DVD permettaient de prendre plus de risques avec des films exigeants sont révolus. Cette source de revenus s'est tarie, et la seule manière d'obtenir un retour sur investissement est d'avoir un succès au box-office, avec des profits qui excèderont ce qu'aucun de nos films n'obtiendra jamais [en termes de budget], à moins que vous ne soyez Damien Leone et que vous ne découvriez une mine d'or avec une franchise telle que Terrifier."
"Mais nous savons tous que c'est extrêmement rare. En ce qui me concerne, ainsi que la majorité de mes pairs, il nous faut en moyenne trois ans pour faire un film si nous avons de la chance (...) Si vous êtes un auteur - réalisateur qui tente de percer en ce moment, il y a de très fortes chances que vous fassiez un film gratuitement ou que vous ne touchiez presque rien sur la production ou la vente. Dès lors, comment subvenir à vos besoins avec aussi peu de revenus pendant trois ans ?"
"Même si vous êtes assez chanceux pour faire partie des guildes, prenez les minimums de la DGA [Directors Guild of America, le syndicat des réalisateurs, ndlr] et de la WGA [Writers Guild of America, le syndicat des scénaristes, ndlr] et divisez-les par trois. Puis retirez les taxes et les pourcentages que vous devez à vos agents, managers et avocats, et que vous reste-t-il ? Ça n'est pas assez pour vivre dans le monde actuel, surtout si l'on essaie de subvenir aux besoins d'une famille. Je n'ai pas d'enfants, personnellement, mais je sais que si j'en avais, je ne pourrais pas faire les films que je fais."
"Pourquoi est-ce que je parle de cela aujourd'hui ? Car je mène la vie d'un réalisateur indépendant, et que je sais qu'il y en a d'autres dans le même cas ici aujourd'hui : ceux qui ne voient pas les films indépendants comme des cartes de visite, ceux qui ne font pas ces films dans le seul but de décrocher des séries ou films de studio. Certains d'entre nous veulent seulement faire des films qui nous sont personnels, destinés à une sortie en salles, avec des sujets qui n'obtiendraient jamais le feu vert de gros studios. Nous voulons avoir une totale liberté artistique, ainsi que la liberté d'engager la personne qui nous semble la mieux pour un rôle, pas celle que l'on nous force à choisir en fonction de sa valeur au box-office ou de son nombre d'abonnés sur les réseaux sociaux."
"Ce système doit changer car il est tout simplement insoutenable. Nos productions créent de l'emploi et des revenus pour toute l'industrie. Nous ne devrions pas nous en sortir aussi difficilement. Il faut que les créatifs impliqués dans des projets qui demandent plusieurs années commencent à recevoir des avances plus élevées - beaucoup plus élevées - et nous demandons cela car nous ne pouvons plus nous reposer sur les retours sur investissement. Sans ça, les films indépendants ne deviendront que des cartes de visite, et ce n'est pas ce pour quoi j'ai signé. Donc il est temps de réclamer ce que nous méritons."
"Si vous êtes dans cette pièce, c'est que vous avez prouvé que vous le méritez, donc ne nous sous-estimons pas plus longtemps. Et nous pouvons travailler ensemble, les réalisateurs avec les agences, les financiers, les exportateurs et les distributeurs, pour rendre le cinéma indépendant soutenable et le maintenir en vie. C'est pour tous les indépendants qui tiennent bon et mènent les bons combats." Un discours très fort auquel Sean Baker apportera une suite, face au tout-Hollywood, pendant les Oscars ? Réponse dans moins d'une semaine.