Après L'Atelier, sorti en 2017, Laurent Cantet est de retour derrière la caméra avec Arthur Rambo. Cette fois, le cinéaste nous présente le personnage de Karime, jeune écrivain engagé au succès annoncé.
Ce dernier avait alias sur les réseaux sociaux, Arthur Rambo, qui postait des messages haineux. La vie de Karim bascule le jour où ce passé est exhumé de Twitter.
Comme à son habitude, le metteur en scène est allé puiser dans une réalité sociale afin d'ancrer son film dans une brûlante actualité. Arthur Rambo est ainsi librement inspiré de l'affaire Mehdi Meklat, un scandale qui a éclaboussé le monde de l'édition en février 2017.
Mehdi Meklat est né le 18 avril 1992 à Clichy, dans le départements des Hauts-de-Seine). C'est un écrivain, réalisateur, blogueur et chroniqueur français. Dès l'âge de 16 ans, il rejoint le Bondy Blog avec son ami Badroudine Saïd Abdallah, devenant le porte-parole de la diversité ethnique et des quartiers sensibles.
Les deux jeunes hommes se font repérer par France Inter, qui leur offre une chronique, Comme on nous parle. Cette dernière est devenue A'Live durant la saison 2014-2015. Leur collaboration avec la célèbre radio prend fin en juin 2015.
Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah co-écrivent ensuite un livre ensemble, Burn out, publié en 2015. Récit choc, il relate l'histoire tragique de Djamal, jeune chômeur qui s’est immolé devant une agence de Pôle Emploi à Nantes en 2013.
Devenu une icône des banlieues, le duo est invité sur tous les plateaux TV et font la une des magazines comme Télérama ou Les Inrocks. Il créé aussi des pastilles vidéos pour Arte et réalise même un documentaire nommé Quand il a fallu partir. Il était consacré à la barre Balzac de la cité des 4000 de La Courneuve, détruite pour insalubrité en 2011.
Chouchou des médias, le tandem Meklat / Abdallah connaissent une ascension fulgurante. Tout bascule le Le 17 février 2017. Mehdi Meklat est invité sur le plateau de La Grande Librairie sur France 5. Il doit y présenter son nouvel ouvrage Minute, toujours co-écrit avec son acolyte.
Le jour même, des internautes exhument des réseaux sociaux des propos antisémites, homophobes, misogynes ou faisant notamment l'apologie du terrorisme. "Faites entrer Hitler pour tuer les juifs", "Qu'ils crèvent" (en évoquant les journalistes de Charlie Hebdo en 2014), "Je regrette Ben Laden, il aurait pu tout faire péter".
La polémique ne met pas longtemps à prendre une grande ampleur. Si Meklat efface ses tweets dans la précipitation, il est tout de même trop tard pour éteindre le feu du scandale. L'artiste Joann Sfar a notamment fait une capture d'écran des messages, dénonçant les propos du jeune écrivain.
Ce dernier, caché sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps, a posté des horreurs sur les réseaux sociaux jusqu'en 2017. Acculé, l'ex chronique radio se défend maladroitement.
"Rien sur ce réseau social naissant n’était mis en œuvre pour arrêter les logorrhées numériques ignobles. Marcelin Deschamps était absolument immoral. Il était honteux, misogyne, antisémite, raciste, islamophobe et homophobe. Grisé par cette liberté infinie, Mehdi n’a pas su contrôler Marcelin", explique-t-il, déclarant aussi qu'il avait créé un "double maléfique."
Stoppé net dans son ascension, le natif de Clichy tente de faire un retour littéraire en 2018 avec Autopsie, vaine tentavie pour s'excuser et revenir sur le devant de la scène.
"De décembre 2010 à février 2017, entre mes dix-neuf et mes vingt-cinq ans, j'ai publié plus de cinquante mille tweets sur mon compte Twitter, sous le pseudonyme Marcelin Deschamps, sans jamais cacher que ce compte m'appartenait. En septembre 2016, je l'ai même repris sous mon vrai nom", confie-t-il dans ces pages.
"La plupart de mes tweets étaient bêtes et méchants, d'autres drôles; une vingtaine d'entre eux infâmes, ignobles. Je m'en suis excusé dès le début de ce que la presse a appelé l'Affaire Meklat et j'implore à nouveau le pardon de tous ceux qui se sont sentis blessés ou meurtris par ces tweets. Je regrette, bien plus encore que l'on ne peut m'en vouloir, de les avoir écrits", a-t-il martelé.
La polémique a fini par s'éteindre avec Mehdi Meklat, retombé depuis dans l'oubli. Son fantôme est ressuscité cette année dans Arthur Rambo, via Rabah Naït Oufella. Ce dernier campe Karim, sorte de double fictif de Mehdi.
"J’avais surtout du mal à recoller les morceaux, à me dire que ce gars intelligent et sensible avait pu écrire ça. Comment tout cela pouvait-il cohabiter dans un même esprit ?", questionne Laurent Cantet.
"Beaucoup de gens, journalistes, intellectuels, ont essayé d’analyser cela et j’ai eu le sentiment que ça tournait en rond. Ce besoin de comprendre passait inévitablement par du discours, qui de toute part voulait établir une vérité. Mais la dialectique a ses limites. J’avais l’impression que le discours, si construit soit-il, n’épuiserait jamais le mystère du personnage, ce qu’un film pouvait tenter de faire de manière plus sensible", précise le cinéaste.
"Je m'étais posé la question et je l'ai aussi posé à Laurent Cantet, à savoir est-ce qu'il fallait que je rencontre Mehdi Meklat pour comprendre le personnage et le calquer. La réponse a été non parce qu'on ne fait pas un film sur Mehdi Meklat. En réalité, on fait un film sur ce mécanisme qui est Twitter, où les réseaux sociaux en général, dans lesquels il faut, pour avoir des followers et accéder à cette lumière, soit être soit très drôle, soit très fort, très intelligent ou provocant", analyse Rabah Naït Oufella.