Jean-Paul Belmondo, l'un des derniers monstres sacrés du cinéma français, s'est éteint à l'âge de 88 ans, a annoncé son avocat à l'AFP, lundi 6 septembre. Diminué depuis un accident vasculaire cérébral survenu en 2001, "Bebel" n'en était pas moins présent et recevait beaucoup de propositions de tournages. Retour sur l'itinéraire d'un enfant gâté du cinéma, mais aussi du théâtre.
Ce n'est pas aux plateaux que se destinait Jean-Paul Belmondo, mais à la scène. Né le 9 avril 1933 à Neuilly-sur-Seine d'un père sculpteur de renom, Paul Belmondo, et d'une mère artiste-peintre, Madeleine Rainaud-Richard, Jean-Paul ne s'intéresse guère aux études. Sa passion, c'est le sport : le football, le cyclisme et surtout la boxe, qu'il pratiquera en professionnel avec succès. Cette disposition sportive se vérifiera plus tard dans ses performances physiques au cinéma, où il exécutera ses propres cascades – sa marque de fabrique.
En 1946, le jeune Jean-Paul assiste à une représentation des Femmes savantes de Molière à la Comédie-Française. Sa vocation est née, il sera comédien. Elève de Raymond Girard puis de Pierre Dux, Belmondo fait ses classes aux Hôpitaux de Paris en jouant devant les patients. Admis au Conservatoire national supérieur d'art dramatique en 1952, il y rencontre Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, Bruno Cremer, Pierre Vernier et Michel Beaune. A cette "la bande du Conservatoire" s'ajoutent bientôt Jean-Pierre Mocky, Claude Rich, Annie Girardot, Françoise Fabian et Philippe Noiret. Mais Jean-Paul Belmondo ne convainc pas ses maîtres et se voit refuser l'accès à la Comédie-Française. Cela ne l'empêche pas d'être appelé par Jean Anouilh, ni d'interpréter Feydeau ou George Bernard Shaw.
En 1956, Jean-Paul Belmondo tourne son premier film, Les Copains du dimanche, de Jean Astier, qui ne sortira qu'en 1967. Entre-temps, l'acteur est devenu une star. En 1959, il joue D'Artagnan dans Les Trois Mousquetaires, téléfilm réalisé par Claude Barma et diffusé en direct à la télévision le soir de Noël.
En 1958, Marc Allégret lui offre un second rôle dans Sois belle et tais-toi avec Alain Delon, débutant tout comme lui. Ils seront amenés à se revoir… Autre grand cinéaste français, Marcel Carné lui donne un petit rôle dans Les Tricheurs (1958). Sa présence tout au long du film lui permet d'être remarqué auprès de Bourvil, Danielle Darrieux et Arletty. Jean-Luc Godard le compare dans Les Cahiers du cinéma à Jules Berry et Michel Simon.
La Nouvelle Vague est prête à déferler et c'est Claude Chabrol, déjà à son troisième film en 1959, qui dame le pion à François Truffaut et Jean-Luc Godard, en faisant appel au jeune acteur dans A double tour. Godard enchaîne en 1960 en lui donnant le premier rôle dans A bout de souffle avec Jean Seberg, film phare de la Nouvelle Vague. Succès critique et public, le film propulse Belmondo au top. Godard fera appel à lui dans trois autres longs métrages.
Le charisme de Belmondo est reconnu par les plus grands cinéastes français établis ou en devenir. Parmi ces derniers, Claude Sautet l'emploie dans son premier long métrage, Classe tous risques (1960), excellent polar qu'il interprète au côté de Lino Ventura. La même année, c'est Moderato Cantabile de Peter Brook, d'après Marguerite Duras. Il est Léon Morin prêtre (1961) pour Jean-Pierre Melville.
Henri Verneuil le confronte au "patron" Jean Gabin dans Un singe en hiver (1962) d'après Antoine Blondin. La rencontre des deux acteurs, d'abord glaciale, deviendra confraternelle, servie par les dialogues de Michel Audiard, dont cette réplique de Gabin à Belmondo : "Môme, t'es mes 20 ans". Un clin d'œil à la relève ?
Jean-Paul Belmondo passe du film d'auteur à des rôles plus fédérateurs avec une aisance étonnante. Il ne manquait plus qu'une corde à son arc : le film d'aventure. Elle lui est offerte en 1962 par Philippe de Broca avec Cartouche, où il retrouve son camarade du Conservatoire Jean Rochefort et donne la réplique à Claudia Cardinale. Film de cape et d'épée, cette évocation fantaisiste du célèbre bandit de grands chemins du XVIIIe siècle reste un fleuron du genre. Le personnage colle à la fougue de l'acteur, qui lui apporte une dimension physique inédite dans les scènes d'action.
C'est la raison pour laquelle Philippe de Broca lui propose dans la foulée L'Homme de Rio en 1964. Il y campe un deuxième classe en permission qui se lance dans une aventure abracadabrante pour retrouver sa fiancée enlevée au Brésil. Dans ce scénario librement inspiré des aventures de Tintin (L'Oreille cassée), Belmondo excelle dans les courses-poursuites et les cascades.
Ce rôle qui lui colle à la peau est un tournant dans sa carrière. Sa partenaire, Françoise Dorléac, sœur de Catherine Deneuve, verra la sienne interrompue par un accident mortel en 1967.
Henri Verneuil dirige ensuite Belmondo dans Cent mille dollars au soleil (1964) avec Lino Ventura, puis dans Week-end à Zuydcoote (1964), sur l'évacuation de Dunkerque en 1940. Philippe de Broca le rappelle pour Les Tribulations d'un Chinois en Chine (1965), d'après Jules Verne. Il y retrouve Jean Rochefort et tombe amoureux sur le plateau de sa partenaire Ursula Andress, sacrée à l'époque plus belle femme du monde. Cette liaison provoque la rupture avec sa première épouse. Il renoue en revanche avec Jean-Luc Godard pour une dernière collaboration dans le mythique Pierrot le fou (1965) au côté d'Anna Karina.
En 1969, retour à la comédie avec Bourvil et David Niven dans Le Cerveau, première alliance avec Gérard Oury, à la tête de la plus chère production française jamais tournée. Succès garanti.
Jean-Paul Belmondo s'oriente de plus en plus vers un cinéma de pur divertissement, mais il garde des attaches avec le cinéma d'auteur. Il tourne pour François Truffaut La Sirène du Mississippi en 1969 avec Catherine Deneuve, mais le rôle désarçonne son public et le film fait un flop. Idem pour Un homme qui me plaît (1969) de Claude Lelouch, avec Annie Girardot. Deux films tournés aux Etats-Unis, où l'acteur confie n'être pas à son aise.
Au tournant des années 1960-1970, Belmondo devient Bebel, diminutif né de la coquille d'un journaliste qui comparait l'acteur au personnage de Pepel interprété par Jean Gabin dans Les Bas-fonds (Jean Renoir, 1936). Les P devenus des B resteront. 1970 est une grande année pour la star : il forme avec Alain Delon le duo de Borsalino réalisé par Jacques Deray. Devenu un classique, le film est taillé sur mesure pour les deux comédiens au faîte de leur gloire, qui offrent un final d'anthologie. Carton au box-office (4 710 381 entrées), le film fait l'objet d'une suite, Borsalino & Co., mais sans Bebel.
Citons aussi le délicieux Les Mariés de l'an II de Jean-Paul Rappeneau (1971) avec Marlène Jobert. Ou encore Le Casse en 1971, nouveau virage dans la carrière de Jean-Paul Belmondo. Il retrouve Henri Verneuil, qui l'associe à Omar Sharif, dans un polar musclé qui renouvelle le genre en France.
Le Casse sort la même année que French Connection de William Friedkin, et participe à ce qui va devenir le "polar urbain". Mais il intronise aussi le nouveau Bebel, roi du film d'action. Il est en 1973 Le Magnifique de Philippe de Broca dans une parodie des James Bond où il enquille les cascades à la Jerry Lewis. Succès du Casse oblige, Verneuil enchaîne avec Peur sur la ville en 1974, où Belmondo casse la baraque, mais s'enferre dans le genre. L'intrigue importe peu, l'action domine.
Jusqu'à ce que l'acteur se blesse lors de la descente en filin d'un hélicoptère, après avoir enjambé les toits de Paris et parcouru celui d'un métro en marche. Le tandem Verneuil-Belmondo fonctionne toujours : 3 948 746 entrées.
La même année (1974), Bebel brise son image en jouant et produisant pour Alain Resnais Stavisky, sur le scandale financier des années 1920. Belmondo est enthousiaste de renouer avec un cinéaste "auteuriste". Mais le film, présenté à Cannes, connaît un accueil critique et public mitigé. La comédie et l'action seront désormais ses seuls objectifs. Il retourne donc vite dans le giron de Verneuil… la routine. Déjà étiquetté "commercial" par la critique, Belmondo perd en crédibilité.
Les titres de ses films suivants se limitent à des qualificatifs qui désignent l'acteur : après Le Magnifique (1974), il est L'Incorrigible (1975), L'Animal (1977), Le Guignolo (1980), un carton de 5 millions d'entrées. Suivront Le Professionnel (1981), puis L'As des as de Gérard Oury (5,4 millions d'entrées en 1982 !), Le Marginal (1983). Le public vient voir un Belmondo comme un James Bond. Pour la critique, Bebel est devenu la caricature de Belmondo. La messe est dite.
Bebel sent le vent tourner. Les Morfalous (1984) de son fidèle Henri Verneuil touche le fond, le public commence à se lasser, malgré un score au box-office faramineux. Il revient à la pure comédie dans Joyeuses Pâques (1984) de Georges Lautner, d'après la pièce de Jean Poiret avec la révélation Sophie Marceau à 13 ans. Succès moins vertigineux, mais beau score tout de même (3,5 millions d'entrées).
Robert Hossein, qu'il connaît bien, lui propose en 1987 d'interpréter Kean, dans la pièce de Jean-Paul Sartre d'après Alexandre Dumas. L'accueil critique est morne mais redonne le goût des planches au comédien. C'est alors qu'intervient le succès au cinéma d'Itinéraire d'un enfant gâté (1988) de Claude Lelouch : Il décroche le le César du Meilleur acteur. pour ce rôle à contre-emploi qui le réhabilite.
En 1990 Jean-Paul Belmondo interprète Cyrano de Bergerac, toujours mis en scène par Robert Hossein. La pièce joue à guichets fermés et s'exporte à travers le monde. Belmondo tourne L'Inconnu dans la maison (1992) de son ami Lautner, puis la version Lelouch des Misérables (1995) qui ne rencontrent pas le succès escompté.
En 1996 alors que Bernard Murat adapte au cinéma la pièce Désiré de Guitry, Jean-Paul Belmondo se livre à une sévère diatribe contre les distributeurs qui selon lui négligent le cinéma français. Se détournant du cinéma, il rachète le Théâtre des Variétés à Paris, joue du Feydeau du Guitry, et du Jean-Michel Ribes. Comme u n retour aux sources, ces rôles sont ses derniers triomphes.
L'homme est resté accessible jusqu'au bout, tout en préservant sa vie privée. Pour l'avoir rencontré, diminué par la maladie, il resplendissait toujours d'une confiance inaltérable dans la vie, communiquait sa joie d'être au contact du public. Il émanait de lui un charisme solaire, unique dans l'histoire du cinéma français, du cinéma tout court.