Certaines oeuvres sont parfois portées à bout de bras par les studios, qui n'hésitent pas à injecter des sommes astronomiques dans une entreprise toujours périlleuse, sur toute la chaîne de création, de la naissance d'une idée ou concept jusqu'à la projection du film devant un public.
Ce ne sont pas les centaines de millions de dollars dépensés en frais de marketing par les studios qui diront le contraire. Car le succès, malgré ces sommes parfois pharaoniques, n'est pas toujours au rendez-vous. Surtout si l'on considère à titre d'exemple que, pour une oeuvre ayant coûté 100 millions $ à produire, il faut que le seuil de rentabilité soit au minimum 2 à 2,5 fois équivalent au budget de production.
Les exemples abondent. Mais le plus fameux, peut-être parce qu'il fut justement le premier de cette ampleur, fut le désastre en salle du Péplum La Chute de l'empire romain, qui scellera le destin de sa société de production...
Les années 50 furent un authentique âge d'or pour le genre du Péplum, en particulier le Péplum biblique : Ben-Hur, Les Dix commandements, ou Quo Vadis, pour ne citer que ceux-ci. Dans les années 60, la vague du péplum a continué avec un certain succès, mais bien moindre que durant la décennie passée.
Et fut marquée par deux retentissants échecs au box-office : le pharaonique Cléopâtre avec sa production chaotique et les caprices d'Elizabeth Taylor. Et La Chute de l'empire romain, sorti un an plus tard, en 1964.
Le film était réalisé par un grand metteur en scène, Anthony Mann, qui avait signé deux ans plus tôt Le Cid, légendaire héros espagnol incarné par Charlton Heston. Porté par Sophia Loren, Alec Guinness, James Mason, Stephen Boyd, Christopher Plummer, Omar Sharif, et Mel Ferrer, La Chute de l'empire romain retrace les luttes intestines entre le tyran instable Commode, et le général Livius, digne disciple de Marc-Aurèle et désireux de faire de Rome un empire résistant à la misère et aux invasions barbares.
L'histoire devrait logiquement vous rappeler celle d'un certain Gladiator de Ridley Scott. C'est normal; le film de Mann est une source d'inspiration majeure, jusque dans ses scènes. Comme la plupart des productions de cette envergure, le film de Mann a coûté une fortune pour l'époque : 19 millions de dollars. Soit l'équivalent de 189 millions $ aujourd'hui.
Dire qu'il a reçu une gifle au box-office relève de l'euphémisme, avec moins de 5 millions $. Il fut produit par Samuel Bronston Productions, du nom du fameux producteur américain qui avait créé sa société en 1943.
Dans les années 1960, il avait massivement investi dans ces films aux budgets démesurés. Le péplum Le Roi des rois en 1961. Le Cid, évoqué plus haut, la même année. Les 55 jours de Pékin, en 1963. Des oeuvres tournées d'ailleurs en pleine Espagne franquiste, dans des studios situés non loin de Madrid.
Le désastre financier de La Chute de l'empire romain fut tel qu'il tua sa société de production, mise en liquidation en juin 1964. Au cours de la procédure de faillite qui a suivi, Bronston fut poursuivi pour parjure dans sa déposition, accusé d'avoir menti sous serment alors qu'il déclara ne pas avoir de compte bancaire en Suisse. Reconnu coupable, il porta néanmoins l'affaire en appel devant la Cour Suprême des Etats-Unis, qu'il remporta, mais bien des années plus tard, en janvier 1973.
Cette affaire et la liquidation de Samuel Bronston Productions dévastèrent sa carrière, même s'il a continué ses activités, produisant notamment, au début des années 80, Fort Saganne d'Alain Corneau.
"J’adore parler des films produits par mon père, je trouve génial que l’on s’en souvienne encore" déclarait Andrea Bronston, la fille du producteur, au journal Le Monde, dans un passionnant article publié en 2021. "Mais je passe ma vie à expliquer que je ne suis pas riche. Mes frères et moi n’avons hérité de rien, car malgré sa carrière époustouflante, il a finalement tout perdu".
