Clint Eastwood doit une grande partie de sa renommée au mystérieux “Homme sans nom”, personnage central du film qui ouvrira la mythique Trilogie du dollar. Pourtant, au moment où il accepte ce rôle, l’acteur est persuadé qu’il s’agit d’un projet voué à l’échec.
Au début des années 60, Sergio Leone, déjà remarqué pour Le Colosse de Rhodes et son travail sur Sodome et Gomorrhe, cherche à redonner vie à un genre que le public américain commence à délaisser. Son idée : revisiter Yojimbo d’Akira Kurosawa et en proposer une variante occidentale, à la frontière entre hommage et réinvention.
Il signe ainsi Pour une poignée de dollars (1964), mais sous le pseudonyme de Bob Robertson. Ce film va devenir la matrice du western spaghetti, avec ses cadrages inhabituels, ses longues pauses dramatiques, l’omniprésence des gros plans et une façon d’exposer la violence qui tranche radicalement avec les productions hollywoodiennes de l’époque. Leone déconstruit les codes classiques pour imposer un style qui deviendra une référence.
Le remake n’échappe pas aux polémiques : Kurosawa engage une bataille judiciaire aux États-Unis contre Leone. Le cinéaste japonais finit par obtenir les droits d’exploitation du film en Extrême-Orient, où Pour une poignée de dollars réalise un véritable carton, ainsi qu’une part des bénéfices mondiaux.
Cette querelle retarde la sortie américaine : alors que l’Europe découvre le film en 1964, le public des États-Unis doit patienter jusqu’en février 1967. Eastwood, déjà bien connu des fans de western grâce à la série Rawhide, voit alors sa carrière décoller à l’international.
Ironiquement, Clint Eastwood n’était pas le premier nom envisagé pour incarner le fameux cow-boy taciturne. Sergio Leone pensait d’abord à Eric Fleming, co-vedette de Rawhide. Fleming refuse, jugeant le rôle trop risqué. Richard Harrison, acteur de séries B, décline également, mais recommande Eastwood – un conseil qui changera le destin du film autant que celui de l’acteur.
Dans une interview filmée en août 2003, Eastwood raconte qu’il avait d’abord trouvé très étrange l’idée de tourner un western en Italie et qu’il s’attendait à un échec. C’est ensuite qu’il apprend que le tournage se déroulerait finalement en Espagne.
“Je pensais que ça allait être un énorme fiasco, mais je vais faire un voyage en Italie et en Espagne. Je ne suis jamais allé dans aucun de ces endroits, donc ce sera une expérience formidable.”
Ce qui l’a finalement convaincu, dit-il, c’était l’idée de jouer dans une adaptation d’un film qu’il admirait profondément : Yojimbo.
“C’était une version occidentale, un remake occidental de Yojimbo, et j’ai toujours aimé Yojimbo, c’est donc ce qui m’a inspiré à accepter le projet.”
Ce rôle, qu’il accepte presque par curiosité, deviendra l’un des plus emblématiques de sa carrière et une étape majeure du cinéma mondial. La suite est connue : Pour une poignée de dollars deviendra un classique, ouvrira la voie aux deux autres volets de la trilogie – Et pour quelques dollars de plus puis Le Bon, la Brute et le Truand – et consacrera définitivement Sergio Leone comme maître du western moderne.

