« Un pilier de la culture indienne ». La chanteuse Lata Mangeshkar est décédée à 92 ans, après un règne sans égal sur la musique de Bollywood où elle prêta sa voix pendant des décennies à une foule d’actrices. L’annonce dimanche de sa mort, dans un hôpital de Bombay où « le rossignol de l’Inde » avait été admis il y a quelques semaines après avoir contracté le Covid-19, a suscité une immense vague de chagrin dans le pays.
Une foule de fans se sont rassemblés devant sa maison de Bombay pour lui rendre un dernier hommage. « Sa voix touche l’âme de chaque Indien, témoigne Rajesh Kumar Ram, 56 ans. Ses chansons nous ont accompagnés tout au long de notre vie. »
Née le 28 septembre 1929 à Indore, dans le Madhya Pradesh (au centre du pays), Lata Mangeshkar a commencé très tôt sa formation musicale sous la tutelle de son père, Deenanath Mangeshkar, chanteur classique et acteur de théâtre, qu’elle disait être son premier et « vrai gourou ». Alors qu’elle n’avait que 5 ans, il l’emmenait avec lui quand il se produisait sur scène. « Mon père a été l’immense influence qui a fait de moi la chanteuse que je suis devenue, avait-elle déclaré dans un entretien au quotidien Hindustan Times en 2013. Il m’a appris la musique »
« Mon père [décédé en 1994] ne m’a pas vu devenir une chanteuse de playback, avait-elle poursuivi. Mais il avait prédit mon succès. Il avait confié à ma mère sa prophétie : Lata aura tellement de succès que personne ne sera en mesure de l’égaler. » En lui faisant enregistrer son premier morceau en 1947 pour le film Majboor, Gulham Haider, grand compositeur indien, lui dit : « Les gens oublieront tous les autres (…) quand ils t’entendront ». Dil mera toda, l’une des chansons du film, la propulse, à 18 ans, sous les feux des projecteurs.
Dès lors, les superproductions de Bollywood s’arracheront sa voix incomparable tout au long des décennies suivantes, marquant de nombreuses œuvres cinématographiques telles que Barsaat ou encore Mahal. Accompagnée de sa sœur Asha Bhonsle et de son frère Hridayanath Mangeshkar, elle a travaillé avec la quasi-totalité des compositeurs du pays.
Sa gloire l’avait rendue incontournable au point d’être invitée à chanter, en janvier 1963, aux commémorations du jour de la République de l’Inde. Elle y interpréta un hommage patriotique aux soldats tués dans la guerre sino-indienne de 1962, Ae mere watan ke logo (« Oh peuple de mon pays ») qui, dit-on, émut aux larmes le Premier ministre Jawaharlal Nehru. A force de discipline, doublée d’une exceptionnelle longévité, elle avait prêté sa voix à une foule d’actrices, parfois de cinquante ans ses cadettes. Si bien que certains critiques se plaignaient que son omniprésence éclipse de jeunes étoiles montantes. Mais elle conservait un public de fans qui plaçait chacun de ses titres au sommet des hit-parades.
Elle chantait toujours pieds nus et transcrivait chacune de ses chansons à la main avant de les enregistrer. Coiffée d’une longue natte brune, point rouge sur le front, elle a chanté dans plus de 1.000 films et publié pléthore d’albums. Elle comptait à son répertoire quelque 27.000 chansons, interprétées dans des dizaines de langues, dont l’anglais, le russe, le néerlandais et le swahili.
Elle avait diffusé en mars 2019 un titre patriotique sur YouTube, six mois avant de fêter son 90e anniversaire, chantant quasiment jusqu’à la fin de sa vie. Son corps a été incinéré publiquement dimanche soir dans un parc de Bombay, où était notamment présent le Premier ministre indien, Narendra Modi. « Les générations futures se souviendront d’elle comme d’un pilier de la culture indienne, dont la voix mélodieuse avait une capacité inégalée à envoûter les gens », a déclaré ce dernier. Les autorités ont décrété deux jours de deuil national.