C'est, curieusement, par un communiqué de l'Elysée que l'on apprend le décès, survenu le 27 août à l'âge de 79 ans, du producteur et réalisateur Jacques Dorfmann. "Son nom figure dans d’innombrables génériques, et son succès illumina pendant plus de trente années les salles obscures. Baron du 7e art, producteur et réalisateur renommé, Jacques Dorfmann nous a quittés".
Né à Toulouse le 2 décembre 1945, Jacques Dorfmann a très tôt marché dans les (glorieux) pas de son père, Robert Dorfmann, fameux producteur derrière Jeux interdits de René Clément, Touchez pas au grisbi, de Jacques Becker; et, surtout, les immenses succès du Corniaud et de La Grande Vadrouille, avec le tandem Louis de Funès et Bourvil.
Débutant sa carrière sous les auspices de la société de production de son père, Les Films Corona, Jacques Dorfmann produit, alors qu'il a à peine 25 ans, deux des plus grands films du cinéma français de la fin des années 1960 et des années 70, signés par Jean-Pierre Melville : L'Armée des ombres, en 1969, et Le Cercle rouge, l'année suivante.
En 1971, il rachète une société, Belstar Productions, et vole de ses propres ailes. Jacques Dorfmann navigue alors avec aisance entre films d'auteur et comédies grand public. Il produit ainsi le grand et éprouvant film Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat; du policier (Les seins de glace de George Lautner); Traitement de choc d’Alain Jessua, avec Annie Girardot et Alain Delon, en 1973; le solide Sept morts sur ordonnance de Jacques Rouffio en 1975, jusqu'à Jean-Pierre Mocky (L'Albatros, Y a-t-il un Français Dans la Salle ?) et même Les Charlots contre Dracula, en 1980.
Cette même année, il est un producteur heureux et comblé par le triomphe de La Guerre du feu de Jean-Jacques Annaud, un projet très risqué et hyper casse-gueule, qui séduit pourtant plus de 4,9 millions de spectateurs et remporte deux César.
En 1988, il passe à la réalisation en signant un très beau film, Le Palanquin des larmes, qu'il tourne en Chine. Quatre ans plus tard, il réalise un étonnant film avec Lou Diamond Phillips, le polar Agaguk, qui se déroule dans le Grand Nord canadien, en terre Inuit, et qui sera le dernier film d'une légende du cinéma, Toshiro Mifune.
La carrière de Jacques Dorfmann sera hélas tuée net par le colossal échec de son film Vercingétorix avec Christophe Lambert, sorti en 2001, et qui figure d'ailleurs parmi les pires films de tous les temps sur AlloCiné avec une moyenne de 1 sur 5. Coproduction franco-canadienne qui fut très difficile à financer, Vercingétorix a cumulé à peu près tous les handicaps possibles.
"On était tout le temps en retard, sur tout. Il arrivait même qu’on tourne vingt-quatre heures d’affilée" racontera Dorfmann dans un numéro du magazine So Film, publié en juin 2021. "J’ai fait des erreurs de mise en scène, de costumes et de perruques. J’aurais dû faire plus simple. Pour moi, ce film n’avait rien d’un blockbuster. Il n’y a que les Américains qui savent en faire. C’était juste un film français, artisanal et ambitieux".
Le cinéaste a la douleur de perdre son père, au début du tournage. Tandis que Klaus Maria Brandauer, qui joue César, refusait de sortir de sa caravane car fâché avec le réalisateur, Dorfmann devait aussi composer avec Christophe Lambert.
L'acteur fut d'autant plus amer que le film a largement contribué à plomber sa carrière. La brouille entre les deux sera durable : "on avait prévu de continuer ensemble. J’étais censé faire un triptyque sur les grands héros de l’histoire de France. Après Vercingétorix, La Fayette et Charles de Gaulle. Et Christophe était de la partie..." racontait Dorfmann.
Qui ajoutait cette bien triste considération, vingt ans après le désastre de ce film qui a torpillé sa carrière : "On dit qu’on se fait une armure, mais moi, je n’ai jamais réussi. Bien sûr, quand on fait un métier public, on ne peut pas se plaindre de l’opinion des gens. Mais quand même, ça fait mal". Jacques Dorfmann n'a plus rien tourné ni produit après ce film.
