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16 août 2025

John Ford a passé ses derniers films à s’excuser

Il pouvait être tyrannique sur les plateaux, hurler les pires atrocités à ses acteurs, et John Ford était aussi l'un des meilleurs réalisateurs de l'histoire du cinéma américain. Au cours des années 60, il avait la soixantaine et a commencé à vouloir corriger la façon dont il avait montré l'Amérique à travers son cinéma.

L'exemple le plus connu de cette période est son western Les Cheyennes (1964), qui présente des héros Amérindiens prenant leur destin en main et quittant la réserve où on semble les avoir placé pour attendre une mort dans l'indifférence générale.

Comme le résume Peter Wollen dans son ouvrage Signs and meaning in the cinema : "Au cours de sa carrière, Ford a vu les problématiques civilisé/sauvage et Européen/Indien évoluer. (...) Dans Les Cheyennes, les Européens sont des sauvages et les indigènes sont les héros."

S'il serait injuste d'écrire que Ford a toujours méprisé les Indiens - il suffit de voir Le Convoi des braves ou Le Massacre de Fort Apache pour s'en convaincre - il est vrai que les "Natives" ont souvent été représentés sanguinaires et méritant leur balle de winchester dans le corps dans bien d'autres films du metteur en scène.

Mais durant la décennie 1960, le réalisateur évoluait, et souhaiter mettre en lumière d'autres thématiques à travers ses westerns, y compris sur d'autres clichés racistes véhiculés dans le genre.

Ford essayera aussi d'aborder le sujet du racisme avec le film Le Sergent noir (1960) porté par Woody Strode, avec moins de finesse et beaucoup de maladresses. Il souhaitait revenir sur plusieurs décennies de racisme à Hollywood.

Le fait de mettre un Afro-Américain à la tête d'un blockbuster est un acte courageux à l'époque, et Ford devra pour cela se fâcher avec le patron de son studio pour imposer le sujet du film, à une époque où une partie de l'Amérique se bat pour les droits civiques, le réalisateur élude assez vite le sujet qui fâche pour opposer une ethnie à une autre : les Noirs et les Indiens.

Il s'attaque également à donner le beau rôle à des personnages féminins, les plaçant en tête d'affiche de son dernier film terminé, Frontière chinoise. Souvent reléguées au second plan ou devant composer avec des hommes étant avant tout moteur de l'action, les femmes du cinéma de Ford sont souvent des mères de famille vivant surtout pour cela. Dans Frontière chinoise, elles sont le moteur de l'action et le personnage d'Anne Bancroft met même les préjugés à mal.

Dès L'Homme qui tua Liberty Valance (1962), Ford déclarait officiellement que l'Ouest tel que vendu au cinéma ou dans les gazettes et autres dime novels étaient une version fantasmée et relevait de la pure légende grâce à cette fameuse réplique restée dans les mémoires.

D'ailleurs, dans Les Cheyennes, le Wyatt Earp incarné par James Stewart est aux antipodes de celui d'Henry Fonda dans La Poursuite infernale du même Ford. Suffisant et paresseux, il est tourné en ridicule, bien loin du shérif intrépide vanté dans tant de westerns et récits pseudo-historiques de l'Ouest.

Finalement, le film qui le représente le plus Ford à cette époque est peut-être La Dernière fanfare avec Spencer Tracy. Ce n'est pas un western, mais il en dit long sur l'état d'esprit du réalisateur à cette période de sa vie.

Le personnage principal, un politicien vieillissant d'origine irlandaise qui donne tout ce qu'il a pour gagner une dernière élection et la perd face à un candidat plus jeune, pourrait être Ford (lui aussi d'origine irlandaise) tentant de livrer son testament cinématographique avant qu'il ne soit trop tard, face au Nouvel Hollywood et aux hippies qui commencent à arriver, et qui vont tout changer.

John Ford s'éteindra en 1973, année durant laquelle le héros de ses films des années 1930 et 40, Henry Fonda, joue à s'auto-parodier face à un Terence Hill complètement fan dans le western italien Mon nom est Personne. Lui, son nom était Ford.

06 novembre 2024

Quand John Carpenter dénigrait John Ford...

John Carpenter a une dent contre John Ford ! Lors d'un entretien donné il y a des années, le réalisateur de The Thing et de Christine s'en était pris au cinéaste, souvent considéré comme l'un des meilleurs metteurs en scène du cinéma américain :

"Le vaudeville irlandais, je ne supporte plus. Je n'en peux plus de ces scènes où ils dansent. La Prisonnière du désert est un film génial mais il est gâché, vraiment gâché au milieu par le retour, le mariage, le 'pose ta main sur mon épaule et regardons le feu dans la cheminée'..."

"Et enfant j'avais aimé L'Homme tranquille mais en le revoyant, j'ai envie de pleurer. C'est tellement sentimental, avec un point de vue d'immigrant, là où Hawks était un réalisateur complètement intégré. (...) Ford sentimentalisait l'Ouest, surtout les femmes, les mères... Bien sûr, dans les coulisses, ce n'était pas comme ça mais c'est ce qu'il montrait."

Et de pointer une erreur dans un autre classique du western et de la filmographie du cinéaste :

"Bien sûr que je fais l'erreur sur tous mes films, mais ce type était incapable de mettre en scène les stage lines". Les stage lines sont des lignes imaginaires qui délimitent l'espace de tournage. Une règle en technique cinématographique est la règle des 180 degrés : une ligne imaginaire sépare un espace en deux côtés et elle ne doit pas être déplacée une fois choisie, que l'on filme un côté ou l'autre. Si elle l'est, l'orientation des personnages devient incohérente et leurs yeux ne se croisent plus, on ne sait plus qui parle à qui.

Carpenter trouvait tout de même des qualités à un film de Ford, Les Raisins de la colère, qu'il qualifiait alors de "vraiment génial" et de "son grand film". Les Raisins de la colère voit Henry Fonda incarner Tom Joad, un repris de justice rentrant dans sa ferme d'Oklahoma pour constater que sa famille en a été chassée, du fait des événements de la Grande Dépression. Les Joad partent donc pour un périple qui doit les mener en Californie et, l'espèrent-ils, à une vie meilleure.

13 septembre 2024

Le jour où le réalisateur John Ford a brutalement mis fin à une vieille amitié avec Henry Fonda

Réalisateur prolifique avec plus de cent films à son actif, totem absolu du cinéma américain et même du cinéma tout court, toujours vénéré par quantité de cinéastes (dont Martin Scorsese, bien entendu, ou Steven Spielberg), John Ford est à juste titre considéré comme l'un des cinéastes les plus influents dans l'Histoire du cinéma.

Il fut l'incarnation même d'une certaine Amérique, refaçonnant à son compte les mythes fondateurs des Etats-Unis et ses figures pionnières, notamment dans ses westerns, imprimant profondément la mémoire collective des Américains.

Ford fut un cinéaste aussi respecté qu'il était notoirement d'un tempérament très difficile, pour ne pas dire tyrannique, sur les plateaux de tournage, ne se privant pas de malmener et d'agresser verbalement ses acteurs. Si sa collaboration avec John Wayne est largement passée à la postérité, il en est aussi une autre qui a beaucoup compté dans sa carrière : Henry Fonda.

Fonda et Ford travaillèrent ensemble sur pas moins de neuf films; et l'acteur considérait que le cinéaste fit beaucoup pour mettre sa carrière sur orbite. Cette collaboration accoucha d'ailleurs de chefs-d'oeuvres : Vers sa destinée, l'extraordinaire Poursuite infernale, la merveilleuse adaptation de l'oeuvre de John Steinbeck, Les raisins de la colère, où Fonda trouve un des plus grands rôles de sa carrière...

En 1948, la relation entre les deux fut très tendue sur le tournage du Massacre de Fort Apache, dont John Wayne était la tête d'affiche. Si Fonda voulait discuter d'une scène avec Ford, le réalisateur changeait carrément de sujet, ou lui disait de se taire. Les injures et les brimades du cinéaste pesèrent lourd, au point même de faire pleurer l'acteur...

La rupture entre les deux sera consommée, mais des années plus tard, en 1954, sur le tournage du film de guerre Permission jusqu'à l'aube. A l'origine, c'était une pièce de théâtre écrite par Thomas Heggen et jouée à Broadway, dont Henry Fonda tenait justement le rôle principal.

Le studio Warner hésita de prime abord pour donner son feu vert à l'engagement de Fonda, mais Ford insista auprès du studio pour que le comédien reprenne effectivement son rôle, au milieu d'un très solide casting complémentaire, entre James Cagney, Jack Lemmon et William Powell. S'il accepta le rôle, Fonda n'aimait pourtant pas le script commandé par Ford, qu'il estimait ne pas être aussi drôle et surtout nuancé que l'était la pièce.

L'incident arriva en septembre 1954, après la mise en boîte d'une scène tournée sur la base navale américaine de Midway. Ce jour-là, l'ambiance sur le plateau était électrique, notamment en raison de tensions entre Ford et William Powell. Fonda décida d'aller voir le réalisateur dans son bureau après le tournage. Passé le seuil de la porte, le cinéaste lui lâcha : "Je crois comprendre que tu n'es pas satisfait du travail". Ford lui balança sa réflexion tandis qu'il tenait un verre d'alcool à la main.

Alors que Fonda tenta de lui expliquer pourquoi il n'était pas satisfait du tournage ce jour-là avec Powell, Ford ne lui a même pas laissé le temps d'achever sa phrase. Il bondit de son fauteuil, se rua vers lui pour asséner un coup de poing au visage de l'acteur. On n'a jamais su pourquoi le cinéaste frappa Fonda. Logiquement stupéfait, Fonda quitta la pièce dans un silence assourdissant.

15 minutes plus tard, Ford alla frapper à la porte de la loge de l'acteur, pour lui présenter, en larmes, ses excuses. Mais rien n'y a fait. Après ce film, qui fut d'ailleurs un franc succès au Box-Office, Fonda n'a plus jamais retravaillé avec le metteur en scène. Leur vieille amitié, qui avait certes eu son lot de vicissitudes, au gré du tempérament colérique et même brutal du cinéaste, prit fin avec cet incident.

L'alcoolisme de Ford, déjà notoire, s'est aggravé pendant le tournage, au point qu'il fut hospitalisé pour un problème rénal, nécessitant une intervention chirurgicale en urgence. Incapable de reprendre les commandes du film, c'est Mervyn LeRoy, réalisateur chevronné en qui la Warner Bros. avait toute confiance, qui termina le film.