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16 septembre 2024

Spartacus est l'un des chefs-d'oeuvre de Stanley Kubrick, pourtant il a renié le film

Disparu à l'âge de 70 ans, Stanley Kubrick n'a signé que treize longs métrages en cinquante ans de carrière. Du mélodrame (Eyes Wide Shut) à la science-fiction (2001 : L’odyssée de l’espace) en passant par l’horreur (Shining), de la comédie (Docteur Folamour) au film de guerre (Les Sentiers de la gloire et Full Metal Jacket) ou d'époque (Barry Lyndon), Stanley Kubrick a offert à chaque genre un incontestable joyau du Septième Art.

On peut volontiers rajouter à cette courte mais brillante filmographie le genre du Péplum avec un classique absolu du genre : Spartacus. Pourtant, le maître ne fut pas satisfait de ce film. Tellement en fait qu'il l'a même renié, parce qu'il n'avait presque aucun contrôle sur cette production dont il ne fut absolument pas à l'origine.

Une expérience et une frustration qui pèseront lourd sur la suite de sa carrière, tant Kubrick fut justement notoirement connu comme l'un des cinéastes les plus exigeants, tenant à contrôler absolument tout, jusqu'au moindre détail.

Basé sur un roman écrit par Howard Fast, le script du film fut d'abord confié à cet auteur. Qualifié de "véritable désastre" par Kirk Douglas, qui était producteur du film, le script est rapidement passé entre les mains de Dalton Trumbo. Toujours inscrit sur l'infâmante "liste noire" anti-communiste de McCarthy, Trumbo est alors forcé de travailler sous un pseudonyme, Sam Jackson, pendant toute la production de Spartacus. Comme Douglas l'expliquera lui-même, la volonté d'engager Trumbo était un choix purement politique.

Le choix du metteur en scène posa aussi problème. Après avoir considéré Martin Ritt et David Lean, la Universal trancha en imposant un réalisateur chevronné, Anthony Mann. Entre retard sur le planning de tournage, rushes presque inutilisables et acteurs qu'il a du mal à tenir, Mann semble complètement dépassé par le projet.

Il se fait alors éjecter du film par Douglas, qui part chercher Stanley Kubrick, alors âgé de 30 ans. Il avait beaucoup apprécié travailler à ses côtés sur Les Sentiers de la gloire, que l'acteur avait aussi produit.

Ce fut la première et dernière fois que Kubrick accepta de travailler sur un film dont il n'avait pas le contrôle créatif. Il s'opposa déjà à Dalton Trumbo, qui gardait la main sur le script, et avec qui il s'opposait fréquemment à propos des personnages. Kubrick s'opposa aussi régulièrement avec le directeur de la photographie, Russell Metty, qui n'arrivait pas à faire correctement son travail face au perfectionnisme intrusif de Kubrick. Ironiquement d'ailleurs, Metty remportera un Oscar pour sa fabuleuse photographie; un des quatre que le film remporta à la cérémonie de 1961.

Avec une production déjà houleuse, Spartacus a aussi été victime de la censure. Déjà, des coupes exigées par la Universal, en la personne d'Ed Muhl, notamment ce qui concernait les intrigues politiques au coeur de l'empire romain. En fait, tout le sous-texte politique fut atténué, au grand désarroi de Kubrick, Trumbo et Douglas.

Si les relations entre les trois furent houleuses sur le tournage, ils étaient néanmoins d'accord sur le fait que ces coupes amoindrissaient le film. Ce n'étaient d'ailleurs pas les seules, puisque des séquences de batailles passèrent aussi à la trappe, comme celle, importante, de Métaponte.

La National Legion of Decency, groupe de pression créé en 1933 par les représentants de l'Église catholique aux États-Unis, entra elle aussi dans la danse. Le but de cette organisation conservatrice ? Purifier les productions cinématographiques qui semblaient exercer une mauvaise influence sur la population en général, et les enfants en particulier...

A sa demande, Universal atténua la violence graphique du film (le sang), mais aussi censurer la fameuse scène du bain, entre Crassus (Laurence Olivier) et Tony Curtis qui incarne son esclave Antonin, dont les échanges évoquent en fait la bissexualité des personnages.

Dans la version restaurée du film supervisée par Robert Harris, sortie en 1991, une partie de ces coupes, d'une durée de 23 min, furent réintégrées, dont la scène du bain. Mais d'autres séquences ont disparues, comme des passages mettant en scène le personnage de Gracchus (Charles Laughton), qui avait déjà menacé Kirk Douglas d'un procès à l'époque de la sortie du film, en découvrant que son personnage avait été sévèrement raboté du montage. Menace qu'il ne mettra pas à exécution.

Toujours est-il que cette version restaurée de Spartacus n'a jamais bénéficié du label Director's Cut; Kubrick ne s'étant jamais replongé dedans pour livrer sa vision. Même si le maître a renié l'oeuvre, elle reste un classique absolu, et a rencontré un énorme succès à sa sortie. En 1998, l'American Film Institute l'a classé 81e dans sa liste des 100 plus grands films de l'Histoire du cinéma américain.

15 novembre 2023

Orange mécanique : le roman qui a inspiré le film culte de Stanley Kubrick décrypté dans un documentaire sur Arte

Composé dans une langue inventée, le "nasdat", un anglais argotique hybridé de mots russes, L'orange mécanique, écrit par Anthony Burgess, a provoqué une double onde de choc. La première, à sa parution, en 1962. Puis en 1971, lors de son adaptation au cinéma par Stanley Kubrick.

Accusé de faire l'apologie de la violence, en écho à des actes criminels qui s’étaient revendiqués de son œuvre, l’écrivain britannique, profondément blessé, expose alors dans un manuscrit autobiographique rédigé en 1972-1973, The Clockwork Condition ("La condition mécanique"), son inquiétude sur le monde en train d'advenir.

Il y présente la vision humaniste qui lui a inspiré cet univers dystopique où la violence nihiliste d'une jeunesse sans espoir se fracasse sur un pouvoir décidé à contrôler les êtres par le conditionnement, en usant de technologies toutes-puissantes.

Jamais publié, ce manuscrit ne fut découvert qu'après son décès, en 1993. C'est sur cette trame passionnante que revient l'excellent documentaire diffusé sur Arte ce 15 novembre à 22h20 : Orange mécanique, les rouages de la violence.

Si Burgess accepta de vendre les droits de son roman à Stanley Kubrick et Warner en 1966, le film ne sortira donc qu'en 1971. Frappé de censure dans plusieurs pays (dont certains n'ont levé l'interdiction qu'en 2000 comme en Italie), le film fut exploité pendant deux ans en Grande-Bretagne avant d'être retiré des salles à la demande express de Kubrick (et ne ressortira là-bas qu'à sa mort).

Si Kubrick a façonné une version toute personnelle du personnage principal, Alex, alors que dans le roman il s'agit d'un adolescent de 15 ans, le cinéaste comme l'écrivain ont su capter avec une acuité effrayante et déjà très avant-gardiste la violence qui gangrène notre société.

"L'un des problèmes sociaux les plus déroutants de nos jours est "comment maintenir l'autorité sans être répressif ?" Il y a ce sentiment grandissant parmi les jeunes, que la politique et les moyens légaux pour faire évoluer la société sont trop lents et sûrement inutiles. D'un autre côté, l'autorité se sent menacée par le terrorisme et ce sentiment croissant d'anarchisme" expliquait alors Kubrick.

Ajoutant : la question est : "comment trouver, si c'est encore possible, un équilibre ?" La réponse n'est pas dans la vision optimiste très utopique visant à détruire l'autorité pour en tirer du bien. Et ce n'est pas non plus en disant que l'autorité doit s'imposer par la force. C'est un dilemme".

Burgess acceptera de s'associer à la promotion du film, mais sera blessé par les attaques incessantes sur son oeuvre -désormais portée à l'écran. "Depuis la sortie du film, on m'associe à sa violence. Si on violait des nonnes, les journalistes m'appelaient pour savoir ce que j'en pensais et si je ne me sentais pas responsable. On m'a étiqueté expert dans la violence, ce que je ne suis pas" commentait l'auteur dans une interview télévisée dont un extrait est diffusé dans le documentaire.

"Nous devenons indifférents lorsque les médias nous abreuvent, jour après jour, de reportages et d'images d'une réalité violente" expliquait Burgess, qui décrit aussi dans son roman, à travers le fameux traitement Ludovico que subit Alex, les techniques coercitives menées par les gouvernements pour "guérir" toutes sortes d'habitudes anti-sociales : l'alcoolisme, la toxicomanie, ou encore l'homosexualité. Ce sont les fameuses et infâmantes thérapies de conversion.

In fine, la question du libre arbitre est centrale chez Burgess et dans son oeuvre. "L'idée que notre capacité puisse être limitée par une force extérieure me terrifie" écrivait-il dans The Clockwork Condition. "Je crains que l'Etat ne soit prêt à s'emparer de nos cerveaux et à faire de nous de bons petits citoyens privés de libre arbitre. Autrement dit, des oranges mécaniques". Plus de 50 ans plus tard, cette interrogation reste, à l'ère de surveillance des masses, plus que jamais d'une brûlante actualité.

"Orange mécanique, les rouages de la violence", diffusé ce mercredi 15 novembre sur Arte à 22h20. Egalement disponible sur arte.tv jusqu'au 12 mai 2024.