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06 février 2025

Sorti il y a 42 ans, WarGames a eu un impact majeur aux Etats-Unis

L'organisation de projections ou présentations de films au locataire de la Maison Blanche est une très vieille tradition ; bien entendu le plus souvent en présence de l'équipe du film. Certaines de ces projections ont d'ailleurs laissé des souvenirs mémorables, pas toujours pour les mêmes raisons.

Celle du film de Tony Richardson par exemple, Tom Jones, porté par Albert Finney et sorti en 1963. C'est le tout dernier film qu'a vu John Fitzegerald Kennedy lors d'une projection à la Maison Blanche, avant d'être assassiné peu après, en novembre 1963. Ou encore celle d'Independence Day, projeté à la famille de Bill Clinton, tandis que l'équipe du film était plutôt nerveuse : désintégrer la Maison Blanche dans un film, qui plus est un jour de fête nationale et même s'il s'agit d'un film de SF, c'était un tabou.

En bon ancien acteur devenu gouverneur de Californie avant d'occuper les plus hautes fonctions de l'Etat, Ronald Reagan aimait lui aussi se faire projeter des films. Y compris à Camp David, le lieu de villégiature officiel du président des États-Unis situé dans le Maryland, à un peu moins d'une centaine de kilomètres de Washington.

Lors d'un week-end de repos en juin 1983, il se fit ainsi projeter une oeuvre sortie le même mois, réalisée par John Badham. Un pur film de science-fiction, un genre alors très en vogue : WarGames.

C'est le coscénariste Lawrence Lasker qui arrangea la projection. Reagan fut particulièrement impressionné par cette histoire de hacker capable de déjouer les systèmes de sécurité informatique les plus sophistiqués. Et même de faire intrusion dans le système informatique du Département de la Défense; une intrusion dont les conséquences prennent des proportions beaucoup plus globale... comme la troisième Guerre Mondiale.

Il faut bien avoir en tête la date de sortie du film : 1983. On est alors en pleine Guerre Froide. Cette même année, Reagan avait qualifié l'Union Soviétique "d'empire du mal". La même année aussi où la chaine ABC avait diffusé Le jour d'après, un téléfilm qui terrifia les téléspectateurs américains, évoquant les effets d'un holocauste nucléaire dévastateur sur les habitants des petites villes de l'est du Kansas.

Cinq jours après la projection de WarGames, Reagan était en réunion avec les secrétaires d'État, de la Défense et du Trésor, le chef d'état-major interarmées et 16 membres du Congrès. Ils étaient là pour discuter d’un nouveau missile nucléaire et de la perspective de négociations sur les armements avec les Russes. Lorsque Reagan commença à donner un récit détaillé de l’intrigue de WarGames, l'assemblée a été frappée de stupeur.

"C'était drôle... j'étais là et j'étais inquiet [...] Reagan nous demande soudain si nous avions vu WarGames. Il était de très bonne humeur. Il a déclaré : "Je ne comprends pas très bien ces ordinateurs, mais ce jeune homme les comprends apparemment. Il rentre dans le [système] NORAD !" raconta le représentant républicain élu Vic Fazio.

Pour rappel, NORAD est l'acronyme de North American Aerospace Defense Command, soit le Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, dont la mission est la surveillance de l'espace aérien nord-américain. C'est dire si sa mission est hautement stratégique et cruciale.

Selon le journaliste Fred Kaplan, auteur du livre The Bomb: Presidents, Generals, and the Secret History of Nuclear War, Reagan s'est alors tourné vers le général John W. Vessey Jr., chef d'état-major des armées des États-Unis, lui demandant si une telle intrusion de la part d'un pirate informatique, qui plus est un civil, pouvait être possible. Tout en lui lâchant avec un sourire : "Ils ont dépeint le général dans le film comme un type négligé, méchant et irréfléchi".

Vessey Jr. n'est revenu vers Reagan qu'une semaine après pour lui donner la réponse, le temps de se plonger dans le script du film : c'était parfaitement possible. "Monsieur le président, le problème est bien pire que vous ne l'imaginez" lança Vessey.

Et il y avait une bonne raison à cela, vu le niveau inquiétant de précision du film. Pour leurs recherches, les scénaristes avaient interviewé Willis Ware, qui a écrit un article en 1967 intitulé Sécurité et confidentialité sur les systèmes informatiques, et et qui a dirigé pendant des années le département informatique de la RAND Corporation, un Groupe de réflexion financé par l'Air Force.

Quinze mois plus tard, après des recherches effectuées par les services de renseignement pour trouver un moyen de renforcer les cyber capacités défensives et offensives des Etats-Unis à la suite des observations formulées, Ronald Reagan a signé la directive de sécurité nationale 145 en septembre 1984. La toute première directive présidentielle concernant la cybersécurité du pays.

S'il n'est pas possible d'établir un lien direct entre WarGames et la législation de Reagan, le film a influencé un autre texte de loi adopté par le Congrès en 1984. Dénommé Counterfeit Access Device and Computer Fraud and Abuse Act, ce texte de loi fait spécifiquement référence à WarGames, définissant le film comme "une représentation réaliste des capacités de numérotation automatique et d'accès de l'ordinateur personnel".

Ce n'est quand même pas tous les jours qu'un film ouvre une telle brèche et ait un tel impact. Un film de science-fiction en son temps, qui gagnerait aujourd'hui certainement sa place au rayon documentaire, tant les perspectives futuristes et effrayantes qu'il décrivait sont désormais devenues plus que jamais possibles.