John Wayne n'a pas toujours apprécié celui qu'il appelait affectueusement "Papy Ford", le réalisateur John Ford, qui lui a plus d'une fois proposé des sujets et des personnages forts, qui ont redoré sa carrière, mais qui n'était pas toujours facile à vivre.
L'anecdote se déroule en 1944. La Seconde guerre mondiale fait rage, et Ford s'est engagé dans l'unité filmique du Bureau des services stratégiques. Il tourne alors beaucoup de documentaires, jusqu'à ce qu'on lui propose de tourner l'histoire du lieutenant de marine John Bulkeley et de ses équipages qui en mars 1942, ont détruit des avions et navires japonais stationnées dans les Philippines.
Pour ce projet baptisé Les Sacrifiés, que John Ford veut meilleur qu'un simple film de propagande comme Hollywood en tourne à la chaîne, passe beaucoup de temps avec le vrai Bulkeley afin de coller à la réalité. A cause du règlement militaire qui veut que le personnel n'apparaisse pas à l'écran sous son vrai nom, Bulkeley devient le lieutenant John "Brickley".
L'acteur Robert Montgomery, qui avait participé à l'opération sous les ordres de Bulkeley, est choisi pour le rôle principal et pour interpréter son second colérique, Ford pense à Robert Taylor, mais devant son indisponibilité, choisit son ami John Wayne.
Et durant les premiers jours de tournage, dans une scène où Montgomery et Wayne, filmés de dos, doivent saluer leur supérieur, Ford fait tourner deux prises, puis une troisième. Interloqués, les deux acteurs s'interrogent : personne ne sait pourquoi une scène aussi simple est recommencée. Ford coupe la troisième prise et d'après Montgomery qui raconte la scène dans l'ouvrage A la recherche de John Ford, devant "mille personnes" le réalisateur s'égosille :
"Duke ! Tu ne peux pas réussir un salut qui donne au moins l'impression que tu as été dans l'armée ?"
Une remarque terriblement humiliante pour Wayne, qui avait essayé de se faire engager, mais s'était fait recaler à cause de son âge (34 ans lors de l'entrée en guerre) et le fait qu'il était le seul pourvoyeur pour son épouse Josephine Alicia Saenz et leurs 4 enfants. Cela et le fait que Republic Pictures, qui le détenait sous contrat, voulait continuer d'exploiter la poule aux œufs d'or.
Retour sur le tournage des Sacrifiés où Wayne claque la porte du plateau, et Robert Montgomery, ancien président de la Guilde des acteurs, réagit au quart de tour : "C'était scandaleux, bien sûr. Je suis allé jusqu'à Ford, j'ai mis mes deux mains sur les bras de son fauteuil et lui ai dit : 'Ne parlez plus jamais de cette façon à personne'".
La réaction de Ford ? "D'abord, il s'est mis en colère : 'Je ne vais pas faire des excuses à ce fils de p*te !'... Puis il a fait preuve d'une parfaite mauvaise foi : 'Qu'est-ce que j'ai dit ? Je ne voulais pas blesser ses sentiments'. Et finalement, il s'est mis à pleurer."
Les intéressés se réconcilieront, et le tournage se poursuivra jusqu'à son terme sans anicroche exceptée une chute de Ford dans les studios de la MGM lui causant une importante fracture à la jambe. Montgomery tournera quelques séquences et Ford lui fera un beau compliment : "Je ne peux pas dire où mon travail finit et où commence le vôtre."
