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17 mai 2023

Le Mépris, de Jean-Luc Godard, fête ses 60 ans à Cannes

En 2016, Le Mépris de Jean-Luc Godard avait été choisi pour être à l'honneur sur l'affiche du festival de Cannes. Cette année, ce drame porté par Brigitte Bardot et Michel Piccoli est une nouvelle fois au coeur des festivités, diffusé dans une réédition en 4K dans le cadre de Cannes Classics. Rendez-vous à 17h15 dans la salle Buñuel . Un événement organisé en amont de son 60e anniversaire : il est sorti précisément dans les salles françaises le 20 décembre 1963 et était alors interdit aux moins de 18 ans pour ses scènes de nu.

Carlotta et StudioCanal lui offrent pour l'occasion une nouvelle affiche, et annoncent la diffusion au cinéma de cette version restaurée à partir du 24 mai. Pour patienter, retour sur sa création et son accueil initial

Il est des œuvres qui changent à jamais le cours des choses. Des œuvres, dont le contact vous laisse à terre et qui révèlent au commun des mortels des sentiments jusqu’alors insoupçonnés. Le fait, par exemple, qu’un film ne doit pas reposer seulement sur une belle histoire, racontée avec de jolis comédiens dans des décors sublimes, avec des dialogues soigneusement écrits.

Avec Le mépris tourné en 1964, Jean-Luc Godard a transcendé tous ces éléments décoratifs pour tutoyer la grâce des dieux. Dieux au pluriel car la mythologie du film est bien liée à la Grèce antique dont la présence physique, morale et intellectuelle traverse tous les pores de la pellicule. On trouve ici le Dieu cinéma. Le mépris a, en effet, pour toile de fond scénaristique, un film dans le film tourné dans les mythiques studios de cinéma de Cinecittà, à Rome, où nos héros se débattent avec leurs sentiments. L’objectif de la caméra du chef opérateur Raoul Coutard nous dévisage d’ailleurs dès le premier plan, dans ce qui reste l’un des génériques les plus puissants de l’Histoire du septième art.

Il y a Dieu en personne, avec le figure de Fritz Lang – le cinéaste des cinéastes !- l’auteur de Metropolis, Le testament du Docteur Mabuse, M le maudit, Les contrebandiers de Moonfleet, jouant ici son propre rôle. Il y a aussi le Dieu qui créa la femme : Brigitte Bardot, 30 ans à l’époque, au faîte de sa gloire et sa beauté. Ajoutez à cela, la baie de Capri et ses eaux bleu turquoise, la musique sublimement mélancolique de Georges Delerue ou les imposantes statues de L’odyssée que la caméra encercle pour mieux nous rappeler qu’ici-bas, nous en sommes que des êtres sans défense. Près de cinquante après les faits, le monument de Jean-Luc Godard continue d’imposer sa loi suprême. Le temps n’a pas de prise sur lui. Un gage d’éternité pour un film pourtant hanté par le spectre de la mort.

Le mépris est une très libre adaptation d’un roman de l’italien Alberto Moravia paru en 1954. Le livre raconte les moments qui précèdent une rupture amoureuse où l’homme et la femme ne peuvent que constater, impuissants, leur éloignement progressif. Nous sommes à Rome, la jolie Camille a suivi Paul, son compagnon, engagé comme scénariste sur un film produit par des Américains autour de L’odyssée d’Ulysse. Sur place, le couple se disloque peu à peu. Camille, insaisissable, s’éloigne inexplicablement de Paul qui ne parvient pas à la retenir. Pour évoquer le roman de Moravia, Godard, à son humour pince-sans-rire, disait : « C’est un vulgaire et joli roman de gare, plein de sentiments classiques et désuets, en dépit de la modernité des situations. Mais, c’est avec ce genre de roman que l’on tourne souvent de beaux films. » Godard, on s’en doute, a gentiment pris ses distances avec la prose de Moravia.  

Et ce lifting va se bâtir principalement autour d’un corps. Une présence flagrante qui va envahir le cadre, le submerger de son évidente beauté. Cet oiseau « rare », c’est Brigitte Bardot. Dans les années 60, B.B est la femme la plus photographiée du monde, emblème d’une jeunesse libre et vivante dans une société conservatrice. La beauté puissante de Bardot, où le naturel efface toute tentative de sophistication, sa moue faussement boudeuse où se mêlent distance juvénile et maîtrise absolue des sentiments, fascine autant qu’elle dérange. Simone de Beauvoir synthétisera en quelques mots ce tempérament évanescent : « Le désir et le plaisir sont pour elle plus convaincants que les préceptes et les conventions (…) Elle fait ce qui lui plaît, et c’est cela qui est troublant. »

Or en 1964, ce qui lui plaît, c’est de tourner avec Jean-Luc Godard. Elle a lu le roman de Moravia et fait savoir au cinéaste qu’elle veut bien être sa Camille. L’intéressé a pourtant en tête un fac-à-face entre Kim Novak et Frank Sinatra, soit la Carlotta de Vertigo repoussant l’étreinte de L’homme au bras d’or ! C’est que, pour la première fois de sa carrière, débutée quelques années plus tôt avec le film manifeste de la Nouvelle Vague, A bout de souffle, Godard a la possibilité de tourner une production avec un budget confortable.

Cofinancé par la France, l’Italie et… Hollywood, Le mépris, c’est un peu le rêve « bigger than life » qui se concrétise pour l’ancien critique des Cahiers du Cinéma. Bardot à bord, et c’est soudain tous les feux qui passent au vert. Le cinéaste ne renonce pas pour autant à son casting international : Jack Palance, le colosse au visage d’Indien taillé à la serpe, sera le producteur Jeremy Prokosch, l’Italienne Giorga Moll, son assistante. Quant au cinéaste allemand exilé à Hollywood, Fritz Lang, il jouera donc… Fritz Lang. Face à Brigitte Bardot, Godard choisit « l’admirable » Michel Piccoli, encore peu connu du grand public, à qui il donne comme unique indication pour camper Paul, l’amoureux éconduit : « C’est un personnage de Marienbad qui veut jouer le rôle d’un personnage de Rio Bravo. » Le parallèle entre le film expérimental, volontairement statique d’Alain Resnais et le chef-d’œuvre d’Howard Hawks, symbole de l’âge d’or du western hollywoodien, décrit assez bien les intentions de Godard. Si le cinéaste-cinéphile veut présenter au public une belle pièce en CinémaScope avec toute la grandeur que cela suppose, il ne renoncera pas à ses préoccupations d’auteur, et notamment à son montage tout en rupture ou encore sa façon de déstructurer l’image et le son… Le tournage du Mépris se déroulera sans heurt à l’abri du regard indiscret des producteurs américains tenus soigneusement à distance et des paparazzi traquant sans relâche Bardot.

Les prises de vues débutent le 22 avril 1963 à Rome. Entre la star et son réalisateur, c’est l’entente cordiale, à défaut d’être passionnée. Michel Piccoli fait office de trait d’union entre les deux parties. « Bardot, ce n’est pas la peine d’essayer de la faire jouer comme Natalie Wood ou Simone Signoret, explique alors le cinéaste. Il faut la prendre comme elle est et essayer de garder d’elle ce qu’elle a de bien, de le rendre vrai et plausible. » De son côté, Fritz Lang, le « dinosaure », admire le travail de « bébé » Godard. Pour Jack Palance, en revanche, c’est plus compliqué. L’acteur américain se plaint de la petitesse de ses dialogues et de l’attitude désinvolte de sa partenaire de jeu. Godard arrive toutefois au bout de son épopée – du moins le croit-il ! – le 8 juillet 1964. Il rend sa copie quelques semaines plus tard. Outre-Atlantique c’est la consternation : « Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire d’amour où l’on ne comprend rien aux sentiments qui animent les personnages ? Pourquoi engager Bardot, s’il n’y a aucune scène sexy avec elle ? » L’actrice n’est pas non plus contente du résultat. Et le film, qui devait faire l’évènement du festival de Venise, retourne illico en salle de montage.

Les Etats-Unis ont envoyé des cow-boys pour veiller au grain. Il est convenu d’ajouter des séquences, et notamment une scène de lit avec B.B. Godard écrit dans la foulée la fameuse ouverture qui appartient aujourd’hui à la mémoire collective : « Et mes seins, tu les aimes mes seins ? Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ?... » Georges Delerue compose une musique au lyrique assumé dont la mélancolie semble sortir tout droit « de la souffrance des personnages. », dixit Michel Piccoli. Ultime combat, Godard devra affronter la censure qui interdit en France le film aux moins de 18 ans et le mutilera aux Etats-Unis et en Italie. Heureusement, le temps a effacé les cicatrices. Le mépris est bien cette grande œuvre crépusculaire qui parle « totalement », « tendrement », « tragiquement » de cinéma et de passion amoureuse, dans lequel la mise en scène – à l’image de la magnifique séquence dans l’appartement romain – est au diapason du mystère de l’existence.  En cela, l’axiome énoncé par le cinéaste ne souffre d’aucune discussion : « Le mépris prouve en 149 plans que, dans le cinéma comme dans la vie, il n’y a rien de secret, rien à élucider, il n’y a qu’à vivre- et à filmer. »

08 mai 2023

Le Festival de Cannes dévoile son hommage à Jean-Luc Godard

On l’attendait, c’est désormais confirmé. Jean-Luc Godard, décédé le 13 septembre dernier, sera bien mis à l’honneur lors de la 76e édition du Festival de Cannes qui se tiendra du 16 au 27 mai prochains. "Il y aura un hommage", avait prévenu Thierry Frémaux lors d’une interview accordée à Deadline en avril, tout en regrettant que le réalisateur ne soit pas venu une dernière fois sur la Croisette. "Je lui ai rendu visite chez lui plusieurs fois. Il me promettait toujours qu’il allait revenir. Je crois qu’il a préféré rester chez lui pour travailler. Il a travaillé jusque dans les derniers jours de sa vie".

La bande-annonce de son dernier film inachevé, Drôles de Guerres, sera ainsi présentée en avant-première mondiale au Festival dans le cadre de Cannes Classics. Une oeuvre au synopsis alambiqué, dans la plus pure tradition godardienne : "Ne plus faire confiance aux milliards de diktats de l’alphabet pour redonner leur liberté aux incessantes métamorphoses et métaphores d’un vrai langage en re-tournant sur les lieux de tournages passés, tout en tenant conte des temps actuels."

L’hommage à JLG se prolongera avec la projection du Mépris, un de ses films les plus emblématiques, dans une restauration 4K présentée par Studiocanal. Et à travers le documentaire écrit par Frédéric Bonnaud et réalisé par Florence Platarets, Godard par Godard, un "autoportrait tout en archives de Jean-Luc Godard" qui "retrace le parcours unique et inouï, fait de brusques décrochages et de retours fracassants, d’un cinéaste qui ne se retourne jamais sur son passé, ne fait jamais deux fois le même film".

Cannes Classics sera aussi marqué par la présentation du documentaire Chambre 999, écho au Chambre 666 de Wim Wenders qui posait en 1982 cette question cruciale et toujours d'actualité à une ribambelle de cinéastes : "Le cinéma est-il un langage en train de se perdre, un art qui va mourir ?". Le cinéma de Yasujirō Ozu sera également célébré au sein d’un riche programme où l’on retrouve un documentaire sur les 100 ans du studio Warner Bros, et un autre consacré à Michael Douglas, The Prodigal Son, qui recevra une Palme d’Or d’honneur lors de la cérémonie d’ouverture du Festival.

Enfin, du côté du Cinéma de la Plage, on retrouve une sélection de films hétéroclite, avec pèle-mêle Underground d’Emir Kusturica, Thelma & Louise de Ridley Scott, Le Sens de la fête de Toledano et Nakache (en hommage à Jean-Pierre Bacri), La Fureur du dragon pour les 50 ans de la mort de Bruce Lee ou encore un film d’animation présentée en avant-première mondiale : Mars Express de Jérémie Périn.

15 septembre 2022

Gérard Darmon : "Je ne peux pas admirer Jean-Luc Godard, quelqu'un qui hait à ce point les Juifs"

Jean-Luc Godard, disparu le 13 septembre, était-il antisémite ? La question court depuis environ 2009, année de publication du roman Courts-circuits de l'écrivain et cinéaste Alain Fleischer. Ce dernier mettait dans la bouche du réalisateur du Mépris des propos répugnants sur la Shoah : « Les attentats-suicides des Palestiniens pour parvenir à faire exister un État palestinien ressemblent en fin de compte à ce que firent les juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l'État d'Israël. » Si aucun enregistrement ne venait prouver que la phrase en question a bien été prononcée, la polémique était lancée. Et la potentielle citation souvent mise en parallèle avec un extrait d’Ici et ailleurs, film de 1974 où Godard superposait une image de Golda Meir, Premier Ministre Israélienne de l'époque, et d'Hitler, comparant ainsi les Israéliens aux nazis.

Retour en 2022 : invité de C à vous sur France 5, Gérard Darmon s’est exprimé sur le cas Godard. « J’ai peur d’être un peu à contre-courant en parlant de ce monsieur, qui est le cinéaste qu’il était. Moi, ce n’était pas ma tasse de thé. Mais c’est surtout l’homme qu’il était qui n’a pas été très bienveillant pour ma communauté. Pour les Juifs en général et pour Israël en particulier. Je trouve que les propos qu’il a tenus étaient absolument inadmissibles, c’était de l’antisémitisme, c’était du négationnisme, c’était du révisionnisme (…) Je ne peux pas admirer Jean-Luc Godard, je ne peux pas admirer quelqu'un qui hait à ce point les Juifs. Tout comme jamais je ne lirai du Céline ou encore ne m'extasierai devant les peintures de Hitler. » 

13 septembre 2022

Mort du réalisateur Jean-Luc Godard

Réalisateur d'A bout de souffle et de Pierrot le Fou, Jean-Luc Godard avait remporté un Oscar d'honneur, deux César d'honneur, un Ours d'or et un Ours d'argent à Berlin, un Lion d'or à Venise et en 2018 une Palme d'or spéciale. Son décès à l'âge de 91 ans a été annoncé par Libération ce mardi 13 septembre.

Jean-Luc Godard est né dans une famille de la bourgeoisie franco-suisse. Durant la seconde guerre mondiale, il est naturalisé suisse. Il commence ses études à Lyon avant de retourner à Paris en 1949 où il obtient une maîtrise en Ethnologie à la Sorbonne. C'est à cette époque qu'il rencontre François Truffaut, Jacques Rivette et Eric Rohmer. Avec les deux derniers, il fonde La gazette du cinéma, puis devient critique à Arts et aux Cahiers du cinéma.

En 1954, il fait ses premiers pas derrière la caméra avec son court métrage Operation beton. Il faut attendre 1959 pour qu'il réalise son premier long métrage, A bout de souffle, un gros succès critique et public, qui sera le film phare de la Nouvelle Vague.

C'est le début d'une série de films où Godard pense le cinéma en réinventant la forme narrative : Une femme est une femme, Le Petit Soldat (censuré car il abordait ouvertement la Guerre d'Algérie, sujet tabou de l'époque), Les Carabiniers, Le Mépris, Pierrot le Fou, Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution et Masculin-Feminin. Il participe également à des films collectifs : Les Plus belles escroqueries du monde et Paris vu par....

Mai 68 : Godard est un militant actif et son cinéma devient un moyen de lutter contre le système (La Chinoise, Week-End). Il prône un cinéma idéaliste qui permettrait au prolétariat d'obtenir les moyens de production et de diffusion.

Il part alors à l'étranger (New York, Canada, Cuba, Italie, Prague) où il commence des films qu'il ne terminera pas ou qu'il refusera de voir diffuser (One American Movie, Communication(s), British Sounds, Lotte in Italia). Les années 70 sont celles de l'expérimentation vidéo : Numero deux, Ici et ailleurs, Jean-Luc six fois deux -sur et sous la communication.

En 1980, il revient à un cinéma plus grand public qui attire des acteurs de renom. Il se retrouve sélectionné au festival de Cannes trois fois, pour Sauve qui peut la vie (1980, avec Isabelle Huppert et Jacques Dutronc), Passion (1982) et Detective (1985 avec Johnny Hallyday), et obtient le Lion d'or au Festival de Venise pour Prénom Carmen (qui révèle Maruschka Detmers). Mais ses films continuent à faire scandale : Je vous salue Marie est censuré en France et dans le monde.

Godard fait un retour à l'expérimentation dans les années 90 : JLG/JLG, For Ever Mozart, Histoire(s) du cinéma (une vision filmée et personnelle de l'Histoire du cinéma) et Eloge de l'amour, présenté en compétition sur la Croisette en 2001.

Le cinéaste y fait son retour trois ans plus tard avec Notre musique, triptyque sur l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis présenté en sélection officielle Hors-compétition. C'est la huitième venue de Godard à Cannes.

Au début du XXIème siècle, il apparaît dans deux films dans lesquels il joue son propre rôle (Le Fantôme d'Henri Langlois de Jacques Richard (II) et Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard de Alain Fleischer), avant de refaire parler de lui sur la Croisette avec son Film Socialisme, sélectionné dans la section Un certain regard 2010.

Âgé de plus de quatre-vingts ans, le cinéaste se fait rare dans le paysage cinématographique, mais beaucoup moins dans les allées du Festival de Cannes. Il réalise "3-Désastres", un des trois segments de l'énigmatique 3x3D (2012), qui passe à la loupe la perception de la 3D, présenté en clôture de la 52ème Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2013.

Treize ans après Eloge de l'amour, Jean-Luc Godard fait son grand retour en compétition cannoise en 2014 avec Adieu au Langage, son sixième film à concourir pour la Palme d'or. Il y remporte le Prix du jury ex-aequo avec Mommy de Xavier Dolan.

En 2018, il présente à Cannes Le livre d'image et donne une conférence de presse sans quitter sa Suisse natale, en utilisant la technologie Facetime. Son film obtient une Palme d'or Spéciale, une première dans l'Histoire du festival.