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16 février 2025

Comment le réalisateur de Ragtime a convaincu James Cagney de sortir de sa retraite

Adaptation du best-seller de E.L. Doctorow, Ragtime est une oeuvre puissamment mise en scène par le grand et regretté cinéaste que fut Milos Forman, qui porte un regard lucide et parfois cruel sur son nouveau pays d'adoption, les Etats-Unis. Un film qui a, plus d'une fois, des allures de fresque monumentale, aux airs d'Il était une fois en Amérique, qui lui sera pourtant postérieur de deux ans. Jusqu'à la comédienne Elizabeth McGovern d'ailleurs, que l'on retrouve justement dans les deux films.

Ragtime, c'est l'histoire d'un pianiste afro-américain, Coalhouse Walker Jr., un jeune homme rangé, victime d’une injustice de la part d’hommes blancs qui n’acceptent pas de le voir rouler au volant de sa voiture neuve. Tout le monde autour de lui l’incite à ne pas envenimer la situation. Mais il ne peut accepter de voir ses droits bafoués et nourrit une profonde aspiration à obtenir réparation pour le préjudice subit. Après la mort de sa fiancée, un terrible engrenage s’enclenche…

Si le film de Milos Forman est souvent décrié parce que jugé trop impersonnel, Ragtime reste pourtant l'un des plus formidables films décrivant la société américaine au tournant du XXe siècle, notamment par son acuité sur la question de la ségrégation raciale et entre les classes. Tout en évoquant aussi en filigranne la naissance du "Ragtime", un genre musical né aux USA entre 1890/1895, qui devint une source majeure d'influence du Jazz.

Porteur d'une charge émotive propre à fendre les pierres en deux, grâce notamment à un bouleversant Howard E. Rollins Jr dans le rôle-titre (et décédé à 46 ans en 1996...), Ragtime est aussi l'ultime contribution au 7e art d'un immense comédien, James Cagney, sous les traits du commissaire Rhinelander Wald.

En 2007, Milos Forman avait raconté dans une très émouvante interview comment il avait réussi à convaincre Cagney de sortir de sa retraite. Et c'était une gageure. Car à l'époque, l'acteur n'avait non seulement pas joué depuis une vingtaine d'années, mais refusait aussi toutes les offres sans distinctions.

"Dino de Laurentiis [NDR : le producteur du film] m'avait dit "il faut au moins une star pour prévendre le film en Europe !" Et moi j'avais déjà mon casting de fait. Je demande donc à Jack Nicholson s'il veut jouer un petit rôle dedans, un caméo. Mais je reçois un peu après un message de sa part me disant qu'il ne peut pas.

A cette époque, je rencontre James Cagney, lors d'un dîner à New York, non loin de là où il habitait. Il n'avait pas travaillé pendant 20 ans. Quinze jours plus tard, il m'a invité chez lui dans sa maison, il avait déjà oublié qui j'étais. Il me demande ce que je fais, je lui répond que je suis réalisateur, notamment d'un film qu'il a peut-être vu, Hair.

Il m'a alors regardé -et je tiens à souligner qu'il n'y avait aucun souvenir de sa carrière dans sa maison, pas même son Oscar, ni une photo, rien de rien-, et allé dans un placard, sort un truc et me le donne en disant : "je ne l'ai jamais vu. Je n'ai pas le désir de le voir. Je ne sais pas qui m'a donné ça. Je ne sais pas pourquoi j'ai gardé ça chez moi. Mais je vous le donne". On est alors en 1979. C'était la toute première affiche de la pièce jouée en off Broadway de Hair, que j'avais vue en 1967 !"

Marge Zimmerman, son assistante, lui alors lancé : "James, tu dois faire le film de Milos, parce que les médecins te disent que si tu ne sors pas tes fesses de ton fauteuil, tu vas mourir !" James a répondu : "Ah ? Bon je vais le faire alors, mais uniquement si je ne signe pas de contrat et que je puisse changer d'avis jusqu'à trois jours avant le tournage".

Je suis donc retourné voir Dino en lui disant qu'on avait notre star, James Cagney, mais qu'il ne signerait aucun contrat. Je n'osais pas lui dire que j'avais promis à James qu'il aurait le droit de changer d'avis 3 jours avant le tournage. [...] On n'a pas pu mettre James dans un avion pour Londres, il ne prenait jamais l'avion. On a donc dû le faire venir par bateau, à bord du Queen Elizabeth II, avec sa femme et sa famille. J'ai commencé à être nerveux, en me disant : "et s'il change d'avis ?"

Forman poursuit son récit : "James était aussi de plus en plus nerveux, il avait 81 ans, il était très malade, avait une sciatique, n'entendait pas, avait du mal à marcher... Je lui ai dit de venir sur le tournage, tranquillement, juste pour observer. Le jour où il est venu, il y avait une centaine de figurants britanniques et d'acteurs. Lorsqu'il a passé les portes, tout le monde s'est mis à l'applaudir, pendant 5, 10 min.

Des larmes ont commencé à couler sur ses joues. Il s'est alors tourné vers moi et ma dit : "oui, je vais faire ce film !" Je suis persuadé que si cette séquence émouvante n'était pas arrivée, il aurait paniqué et m'aurait dit qu'il ne pouvait pas faire le film. Il a mesuré combien lui et son travail étaient appréciés en Europe".

Une très émouvante anecdote sur un immense acteur qui a laissé une empreinte indélébile dans l'Histoire du cinéma. On ne saurait faire plus bel épitaphe cinématographique.