Avec 38 millions d’heures vues en une semaine dans le monde, Le Monstre de Florence est LA série la plus vue du moment sur Netflix. Cette reconstitution fictive d’une des affaires criminelles italiennes les plus mystérieuses de tous les temps a donc particulièrement attiré l’attention.
Le réalisateur Stefano Sollima s’empare de cette affaire non élucidée pour faire une étude de mœurs sur la société italienne dans les années 70, entre misogynie et voyeurisme. Une approche pas au goût de tous, et notamment de Salvatore Maugeri - l’auteur de “Rébus Toscan L'odyssée sanglante du monstre de Florence”.
Ce natif de Montbéliard a grandi avec Jean-Michel Kraveichvili, la dernière victime masculine du tueur en série. Un ami d’enfance avec il “faisait les 400 coups”, entre deux sessions de musique. Lors de notre rencontre avec lui, il nous révèle avoir commencé à s’intéresser à l’affaire “non pas par curiosité personnelle” mais parce que le frère aîné de Jean-Michel le lui a demandé.
Durant les 30 minutes de notre entretien avec lui, Salvatore Maugeri s’est appliqué à pointer du doigt les défauts de la série Netflix et son traitement problématique de l’histoire.
“La série se présente avant tout comme un divertissement sanguinaire. Je veux dire qu’elle ne sert en rien la vérité. Elle prend de telles libertés avec les faits et cède à un propos commercial tellement évident, tellement grossier, tellement insolent et à la limite obscène, qu'on ne peut être que déçu. Ce n'est pas une série sur le monstre de Florence, en fait.”
Première victime féminine du Monstre de Florence, jouée par Francesca Olia, Barbara Locci tient une place prépondérante dans l’intrigue de la série Netflix. Une approche vivement critiquée par Maugeri :
“Sollima est prêt à tous les arrangements, à tous les travestissements, puisqu'il dépeint par exemple Barbara Locci comme une femme soumise à son mari, qui se fait violer par le locataire que lui impose son mari. C'est absolument contraire aux faits.
Barbara Locci était une femme complètement émancipée, qui avait 17 ans de moins que son mari - qui était reconnu pour être oligophrène. Oligophrène, littéralement, ça veut dire "petite cervelle", c'est-à-dire que c'est un crétin du village.
C'était un mariage arrangé par les familles pour des intérêts qui les regardent. Cette femme se retrouve à Florence avec un mari qui préfère jouer aux cartes et boire avec ses amis au bar plutôt que de s'occuper de sa famille et de travailler à améliorer le sort de tout le monde.
Barbara fréquentait elle-même les bars et c'est là qu'elle a rencontré ses amants. Et le personnage de Salvatore Vinci, qui est ramené chez elle, en fait, c'est elle-même qui le rencontre. Déjà, elle était sortie avec son frère aîné, un certain Giovanni Vinci (qui est le vrai père de Natalino, ndlr).
C'était une femme extrêmement libre de ses faits et gestes et en tout état de cause, se moquait éperdument de l'opinion de son mari sur ses allées et venues et ses activités extraconjugales. C’est déjà un mensonge que nous assène Sollima pour asseoir sa thèse d'une domination masculine contre les femmes.
Je ne vais pas aller jusqu'à nier qu'historiquement, le patriarcat a caractérisé les relations entre les hommes et les femmes.Mais enfin, il se trouve que la vie est beaucoup plus nuancée que ça. Nous ne sommes pas des pantins dénués de tout libre arbitre."
“Salvatore Vinci, présente tous les traits du macho dominateur, capable d'imposer sa volonté à tout le monde. Quand on voit à quoi il ressemblait … je sais qu'il mesurait à peine 1m65. Excusez-moi, mais il avait certainement beaucoup de mal à imposer sa puissance à toute personne qui lui faisait face, fût-elle une femme, comme c'était le cas de Barbara Locci.
On sait qu'il a commis des violences conjugales, que deux de ses compagnes ou de ses épouses ont quitté le foyer conjugal parce qu'il les entraînait à des rapports en trio avec lesquels elles n'étaient pas d'accord. Les enquêtes de police ont fait la lumière là-dessus.
Salvatore Vinci était un être extrêmement indécis dans ses choix sexuels, dans ses obsessions, il faisait feu de tout bois, il aimait les partouzes quoi. Il contraignait ses épouses, il était violent avec elles.
C'était ce genre de tyran domestique qu'on rencontre souvent autour de nous, qui ne ferait pas de mal à une mouche à l'extérieur, qui est incapable d'impressionner qui que ce soit. Il ne faisait régner la terreur que chez lui. Donc c'est regrettable que la série Netflix ait raté l'occasion d'essayer d'œuvrer à l'établissement de la vérité à propos de ces affaires.”
“Donc mon livre, je cherche à parcourir toutes les pistes, à montrer à quel point la confusion est grande chez les enquêteurs, les désaccords nombreux d'abord entre la gendarmerie et la police, dans une espèce de guerre sourde et sournoise qui s'oppose à l'établissement de la vérité. Et ensuite, les magistrats qui s'accrochent aux branches, qui inculpent tour à tour.
Il y a au moins 15 coupables présumés qui sont tombés aux mains de la justice, dont le nom a été traîné dans la boue et qui n'ont jamais reçu la moindre excuse de la part des forces de l'ordre.
Mon livre cherche à mettre en lumière le fait qu'on ne sait rien de tangible. On ne peut avoir que des présomptions : pour le clan Sarde, pour Pietro Pacciani ou contre le médecin de Pérouse qui était soupçonné. Ou encore plus récemment contre un militaire américain en poste en Italie durant toutes les années où le monstre a sévi et qu'un journaliste italien a présenté comme à la fois le monstre de Florence et le tueur du Zodiaque.
Un des avocats des coupables a toujours affirmé que pour lui, le monstre ne pouvait être qu'un policier ou un membre des forces de l'ordre, qui opérait vêtu régulièrement avec son uniforme de flic ou de gendarme et qui profitait de la surprise des amants pour les assassiner froidement et ensuite se livrer aux mutilations. C’'est une hypothèse qui est bonne mais qui n'est pas supportée par des preuves irréfutables, malheureusement.
On a compris que les pistes explicatives ne manquent pas. Celle du clan sarde n'en est qu'une et il y a fort à parier qu'avec le succès de la première saison, Netflix va en commander plusieurs et que le chapitre sur Pietro Pacciani et ses "copains du goûter" ne va pas manquer de s'égarer du côté de l'hypothèse sataniste et des commanditaires occultes que le dernier enquêteur en date à voulu "vendre" au parquet de Florence.
Cette idée a été suivie un temps, traînant dans la boue le nom de plusieurs notables de la campagne, avant de mettre un terme à ce délire ésotérique, forgé de toute pièce pour masquer l'incapacité des forces de l'ordre de trouver le vrai coupable. C'est ça le vrai sujet qu'aurait dû traiter la série. Hélas, le propos est sans doute trop polémique et pas assez vendeur...".
