On lui doit l'un des classiques du film noir (Assurance sur la mort). Un drame sur l'alcoolisme récompensé par l'Oscar du Meilleur Film (Le Poison). Un biopic (L'Odyssée de Charles Lindbergh). Une adaptation réussie d'Agatha Christie (Témoin à charge). L'une des aventures les plus étonnantes de Sherlock Holmes. Ou l'un des plus grands longs métrages sur le milieu du cinéma, avec une narration qui avait fait son petit effet à l'époque (Boulevard du crépuscule).
Mais on retient surtout Billy Wilder pour ses comédies, et ça n'est pas étonnant. Parce qu'il a co-écrit deux des plus célèbres films d'Ernst Lubitsch (dont Ninotchka), autre spécialiste du genre. Mais surtout parce qu'on lui doit, en tant que réalisateur, des opus tels que 7 ans de réflexion, Embrasse-moi, idiot, Irma la douce ou encore Certains l'aiment chaud, encore considéré comme l'un des chefs-d'oeuvres du 7ème Art.
Comme La Garçonnière, sorti un an plus tard en France. Qui n'a peut-être pas de réplique aussi célèbre que le "Personne n'est parfait" de son prédécesseur, mais n'en reste pas moins un modèle de comédie. En plus d'un rappel de la place qu'occupe la romance dans le cinéma de Billy Wilder, où les sentiments sont souvent un moteur de l'intrigue.
Pas que les sentiments d'ailleurs, dans le cas de La Garçonnière, dont le titre français laisse moins de place au mystère que l'original, The Apartment. Il y est question d'un employé d'une grande compagnie d'assurance (Jack Lemmon, dans le second de ses sept films avec le cinéaste) qui, pour favoriser sa promotion, prête régulièrement son habitation à ses supérieurs, pour qu'ils y emmènent leur maîtresse pendant que lui patiente sagement en se baladant dans la rue, quitte à devoir braver le froid.
Jusqu'au jour où le chef du personnel, mis au courant de ces arrangements, lui demande la même faveur pour emmener dans son appartement la femme dont le héros est amoureux, et qui a tenté de mettre fin à ses jours. Évidemment, car rien n'est jamais simple dans le monde Billy Wilder. Et, en même temps, tout est limpide. De la justesse des situations, des répliques et des comédiens qui les prononcent, à la manière dont la mise en scène va droit au but. Y compris sur un opus comme celui-ci, qui dépasse les deux heures.
Mais ce qui nous frappe le plus quand on revoit La Garçonnière, outre son efficacité et sa tendresse envers ses deux personnages principaux, c'est à quel point le film reste pertinent aujourd'hui. Car il n'a rien perdu de sa modernité, dans la forme et le fond. Il y a 64 ans, Billy Wilder se moquait de l'Amérique capitaliste en pointant du doigt l'écart entre la bien-pensance de façade et la réalité des moeurs sexuelles, les rapports hommes-femmes sur le point d'évoluer et la corruption en vigueur chez les puissants. Et c'est peu dire que les choses n'ont pas vraiment changé sur ces plans.
Comme souvent (toujours ?) chez Billy Wilder, l'acidité est de mise. Associée, ici, à de la mélancolie. Celle qui émane de ces personnages principaux, prisonnier du regard des autres et des chimères du rêve américain. Que ses héros soient un monsieur tout-le-monde et une employée qui a tenté de se suicider lui permet d'illustrer l'expression selon laquelle "l'humour est la politesse du désespoir", et la force du long métrage réside aussi dans ses nuances.
Drôle et mordant quand il cherche à l'être, La Garçonnière sait aussi être tendre. Triste. Grave. Et la manière dont il parvient à trouver un équilibre entre ses tons relève presque du miracle. Ou pas, quand on connaît la précision de l'écriture de Billy Wilder, qui avait conçu le rôle de C.C. Baxter pour Jack Lemmon, après leur collaboration sur Certains l'aiment chaud.
Face à lui, la future Irma la Douce Shirley MacLaine campe une Fran Kubelik des plus attachantes. Dans ce qui reste, aujourd'hui encore, un modèle de comédie, récompensé par 5 Oscars (Film, Réalisateur, Scénario Original, Décors et Montage). Parce qu'il sait aller au-delà de l'humour, ce qui le rend plus humain, notamment dans son dénouement doux-amer.
En plus de nous montrer un noir et blanc encore plus éclatant et hypnotique, et de rendre encore plus visibles certains effets de mise en scène, cette ressortie dans une version restaurée nous permet de voir que La Garçonnière n'a presque pas de ride.
Et qu'il ne s'agit pas seulement d'une comédie géniale ou de l'un des sommets de la carrière de Billy Wilder, mais bien de l'un des plus grands films de l'âge d'or hollywoodien. Tout court.