Depuis très longtemps, le prestigieux éditeur (et distributeur) américain Criterion, véritable temple de la cinéphilie la plus absolue, voit débouler les artistes du monde entier dans son Criterion Closet; qui n'est autre que la réserve de l'éditeur où sont conservés tous les films édités par ses soins. Les invités ont alors carte blanche pour prendre les films qu'ils souhaitent, en expliquant leurs choix.
De passage à New York pour (entre autre) la promotion de la nouvelle saison de la série The Morning Show diffusée sur Apple+, la comédienne Marion Cotillard en a profité pour faire un saut dans les bureaux de Criterion et se livrer à une petite séance de Criterion Closet. Et de livrer ses films coups de coeur.
Fanfan la tulipe de Christian Jaque, pour commencer, un classique absolu porté par un merveilleux duo, Gérard Philipe et Gina Lollobrigida. "Je ne sais même pas combien de fois j'ai vu ce film avec mes deux frères" lâche la comédienne. "C'est le film de mon enfance [...] Je suis tombée amoureuse de Gérard Philippe quand j'étais petite".
Si Marion Cotillard embarque aussi dans sa besace une anthologie des oeuvres d'Agnès Varda, ainsi que le film Hedwig & the Angry Inch de John Cameron Mitchell, qu'elle a découvert au Festival du film américain de Deauville où elle était membre du Jury, son film préféré figure en bonne place chez l'éditeur. Il s'agit d'un classique indéboulonnable : Le Dictateur de Charles Chaplin.
"C'est vraiment mon film préféré, même si je sais qu'il est difficile de choisir ou ne retenir qu'un film. C'est le film le plus humain de tous. C'est le film le plus intelligent et le plus touchant que j'ai jamais vu. Et à chaque fois que je le vois, je suis émue de la même manière, même si je connais l'histoire et les dialogues par coeur. Je pense que la dernière phrase de ce film est "Ecoutez". A chaque fois, rien que d'en parler, ca me fait pleurer. C'est LE chef-d'oeuvre des chefs-d'oeuvre".
Avant de signer ce chef-d'oeuvre et classique absolu, Chaplin réalisa deux films sonores : Les Lumières de la ville (1931) et Les Temps modernes (1936). Mais Le Dictateur est son premier vrai long métrage parlant avec des dialogues. Commençant l'écriture de son film en 1938, il entra effectivement en tournage le 9 septembre 1939, soit huit jours après l'invasion de la Pologne par les Nazis et six jours après la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne et de la France à l'Allemagne.
Si le premier "véritable" Hitler apparut dans un gag de la version cinématographique anglaise d'une comédie musicale, The Mikado (1939), suivi par d'autres imitations du chancelier, Chaplin a incarné le premier Hitler du cinéma américain.
C'est précisément dans ce film qu'apparurent également pour la première fois les caricatures d'autres dignitaires nazis, avec Henry Daniell dans le rôle de Garbitsch (Goebbels) et Billy Gilbert dans celui du maréchal Herring (Göring), tandis que Jack Oakie interprétait Benzimo Napaloni (Mussolini), dictateur de la Bactérie.
Peu de films réalisés à chaud ont su capter avec une telle acuité l'air vicié de cette période, avec sans doute à ses côtés une autre oeuvre aussi admirable que lucide, La Tempête qui tue de Franck Borzage, qui raconte comment l'arrivée de nazis au sein d'une petite communauté profondément unie bouleverse les rapports sociaux, jusqu'à la tragédie.
Dans son style inimitable, mêlant le burlesque et empreint de cinéma muet (géniale scène du globe gonflable avec lequel Chaplin joue), l'acteur - réalisateur délivre au bout du compte un message final d'une grande puissance et profondément humaniste, sur la liberté et la tolérance.
