Il pouvait être tyrannique sur les plateaux, hurler les pires atrocités à ses acteurs, et John Ford était aussi l'un des meilleurs réalisateurs de l'histoire du cinéma américain. Au cours des années 60, il avait la soixantaine et a commencé à vouloir corriger la façon dont il avait montré l'Amérique à travers son cinéma.
L'exemple le plus connu de cette période est son western Les Cheyennes (1964), qui présente des héros Amérindiens prenant leur destin en main et quittant la réserve où on semble les avoir placé pour attendre une mort dans l'indifférence générale.
Comme le résume Peter Wollen dans son ouvrage Signs and meaning in the cinema : "Au cours de sa carrière, Ford a vu les problématiques civilisé/sauvage et Européen/Indien évoluer. (...) Dans Les Cheyennes, les Européens sont des sauvages et les indigènes sont les héros."
S'il serait injuste d'écrire que Ford a toujours méprisé les Indiens - il suffit de voir Le Convoi des braves ou Le Massacre de Fort Apache pour s'en convaincre - il est vrai que les "Natives" ont souvent été représentés sanguinaires et méritant leur balle de winchester dans le corps dans bien d'autres films du metteur en scène.
Mais durant la décennie 1960, le réalisateur évoluait, et souhaiter mettre en lumière d'autres thématiques à travers ses westerns, y compris sur d'autres clichés racistes véhiculés dans le genre.
Ford essayera aussi d'aborder le sujet du racisme avec le film Le Sergent noir (1960) porté par Woody Strode, avec moins de finesse et beaucoup de maladresses. Il souhaitait revenir sur plusieurs décennies de racisme à Hollywood.
Le fait de mettre un Afro-Américain à la tête d'un blockbuster est un acte courageux à l'époque, et Ford devra pour cela se fâcher avec le patron de son studio pour imposer le sujet du film, à une époque où une partie de l'Amérique se bat pour les droits civiques, le réalisateur élude assez vite le sujet qui fâche pour opposer une ethnie à une autre : les Noirs et les Indiens.
Il s'attaque également à donner le beau rôle à des personnages féminins, les plaçant en tête d'affiche de son dernier film terminé, Frontière chinoise. Souvent reléguées au second plan ou devant composer avec des hommes étant avant tout moteur de l'action, les femmes du cinéma de Ford sont souvent des mères de famille vivant surtout pour cela. Dans Frontière chinoise, elles sont le moteur de l'action et le personnage d'Anne Bancroft met même les préjugés à mal.
Dès L'Homme qui tua Liberty Valance (1962), Ford déclarait officiellement que l'Ouest tel que vendu au cinéma ou dans les gazettes et autres dime novels étaient une version fantasmée et relevait de la pure légende grâce à cette fameuse réplique restée dans les mémoires.
D'ailleurs, dans Les Cheyennes, le Wyatt Earp incarné par James Stewart est aux antipodes de celui d'Henry Fonda dans La Poursuite infernale du même Ford. Suffisant et paresseux, il est tourné en ridicule, bien loin du shérif intrépide vanté dans tant de westerns et récits pseudo-historiques de l'Ouest.
Finalement, le film qui le représente le plus Ford à cette époque est peut-être La Dernière fanfare avec Spencer Tracy. Ce n'est pas un western, mais il en dit long sur l'état d'esprit du réalisateur à cette période de sa vie.
Le personnage principal, un politicien vieillissant d'origine irlandaise qui donne tout ce qu'il a pour gagner une dernière élection et la perd face à un candidat plus jeune, pourrait être Ford (lui aussi d'origine irlandaise) tentant de livrer son testament cinématographique avant qu'il ne soit trop tard, face au Nouvel Hollywood et aux hippies qui commencent à arriver, et qui vont tout changer.
John Ford s'éteindra en 1973, année durant laquelle le héros de ses films des années 1930 et 40, Henry Fonda, joue à s'auto-parodier face à un Terence Hill complètement fan dans le western italien Mon nom est Personne. Lui, son nom était Ford.

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