En annonçant la semaine dernière avoir quitté le cinéma pour des raisons politiques, Adèle Haenel a jeté un sacré pavé dans la mare. Dans sa lettre publiée dans Télérama, elle dénonçait la "complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est". Un prise de parole qui a généré de nombreuses réactions, souvent négatives…
Le coup de gueule d’Adèle Haenel a poussé une autre actrice, Vahina Giocante, à sortir également du silence. Choquée par le "déferlement de violence à l’encontre de [sa] consœur", elle a publié une longue lettre sur les réseaux sociaux pour lui apporter son soutien, mais aussi expliquer pourquoi elle s’était éloignée des plateaux de tournage pendant de nombreuses années.
La comédienne, connue pour ses rôles dans Blue Berry, 99 francs ou Secret Défense, raconte en préambule avoir "pris un soin tout particulier à rester pudique et silencieuse, à me protéger en protégeant un système qu’il est temps de mettre collectivement à terre sans violence juste par la force de la vérité nue." Aujourd’hui, elle estime qu’il est de son devoir de "se mettre à parler à prendre le relais sans honte, ni peurs ni reproches."
L’histoire d’Adèle Haenel résonne fortement pour Vahina Giocante. Elle aussi révélée très jeune, à l’âge de 14 ans, elle confie pour la première avoir également été agressée sexuellement. "A la différence que c’était par mon père. J’ai découvert ce que c’est que l’inceste aussi tôt que mes souvenirs commencent jusqu’à mes 11 ans. J’enchainais les tournages et en parallèle je portais plainte contre lui à l’âge de 17 ans pour protéger mes plus jeunes sœurs (je n’ai réussi à en épargner qu’une sur deux)."
Marquée par cette terrible expérience, elle raconte avoir ensuite pris de plein fouet "la violence de ce milieu que mentionne avec dégoût Adèle, et que nous avons TOUTES rencontré plus ou moins fréquemment et plus ou moins brutalement. Certains réalisateurs qui confondent le désir créatif avec celui de la chair, certains producteurs qui tentent d’user de leur influence en échange de quelques faveurs, certains partenaires qui profitent d’une scène intime pour se frotter et vous fourrer la langue …. Bref la liste est longue … Et ce sont ces petits abus, ces petites phrases déplacées, ces regards qui déshabillent ainsi que la difficulté d’envoyer chier tout ce petit monde sous peine d’être contrainte au chômage qui usent."
Au film de ce témoignage, on comprend pourquoi Vahina Giocante avait quitté le monde du cinéma et des séries. "Injonctions après injonctions on finit par disjoncter, par s’éteindre, par se mettre en Off. Je me souviens très bien de qui a appuyé sur l’interrupteur, c’était à l’occasion d’une scène de danse sur la série Mata Hari que je tournais… Les producteurs viennent me voir avant la scène et me lancent le plus naturellement du monde sourire aux lèvres - 'Bon là il faut y aller, faut tout donner, faut faire bander dans les caleçons'."
"Faire bander dans les caleçons ? J’en ris aujourd’hui mais considérant mon passif d’enfant sexuellement abusé cette phrase fut l’effet d’une bombe à l’époque… Ça ne s’arrêtera donc jamais, de mon père au parfait inconnu c’est donc ce qu’on attend de moi ??!!! Je pris la décision à cet instant précis de tout envoyer bouler comme Adèle, me cacher m’éloigner des caméras que j’aime tant et de m’enfuir a 10000 kilomètres pour 7 longues années de réflexion mais surtout de reconstruction. À la différence que je suis partie sans un mot sans une explication sans justification. Disparue des radars médiatiques en une fraction de seconde."
Aujourd’hui de retour en France et dans le métier, l’actrice âgée de 41 ans se dit "apaisée, solide, construite, aimée, et libre". Rangée dans "le camp de ceux qui osent", elle croit que le temps du déni touche à sa fin : "Il y a un grondement encore sourd mais qui s’élève inexorablement. Vous pouvez le combattre ou l’ignorer mais rien ni personne ne peut le réduire au néant parce qu’il est puissant, juste et que c’est le moment. Ni le rejet, ni les moqueries, ni la haine, rien ne peut s’opposer à cette grande purge collective."
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