En dépit d'une carrière en dents de scie, le parcours de Sylvester Stallone force incontestablement le respect. Lui qui pourtant partait bien mal dès la naissance, lorsque son visage fut abîmé par des forceps. Un nerf facial fut touché, sa bouche tordue à jamais, sa langue à moitié paralysée. Stallone en gardera toute sa vie un défaut de prononciation, qui deviendra aussi sa marque de fabrique.
Elevé et corrigé à coups de fouet par son père - ce dernier ne cessait alors de lui rappeler qu'il n'était qu'un bon à rien -, il deviendra ensuite un adolescent agité et pour le moins violent avec pas moins de 14 expulsions avant ses 13 ans.
Multipliant les petits boulots (coiffeur, homme d’entretien dans un zoo, ouvreur dans un cinéma) et les petits rôles (dont un film érotique, L’Etalon italien, et un Woody Allen, Bananas), il refusera un pont d’or pour vendre son scénario de Rocky à Hollywood et acceptera le salaire minimum pour vendre et jouer son scénario.
La suite appartient à l'Histoire. Il a offert au public au moins deux personnages qui sont entrés dans la mémoire cinéphilique des spectateurs du monde entier : Rocky Balboa et John Rambo. Quoi qu'on puisse penser de sa filmographie, il reste aux yeux du public une icône absolue du Box Office hollywoodien.
Alors que l'acteur célèbre ce jour ses 75 ans, et désormais une carrière d'un demi-siècle (eh oui, déjà...), il aimerait malgré tout que l'on attache, un jour peut-être, son nom à un projet au très long cours qu'il développe amoureusement dans son coin depuis des décennies. Un projet à des années lumières des rôles qui ont fait sa gloire. Le projet d'une vie, littéralement : réaliser un biopic sur le fameux poète et écrivain Edgar Allan Poe.
Stallone voue un culte tenace au grand écrivain, mort à 40 ans dans des circonstances qui n'ont pas pu être déterminées, et dont les récits fantastiques ont bercé des millions de lecteurs. Oui, mais voilà : pas facile de convaincre les producteurs de mettre au pot lorsqu'on a l'étiquette d'action hero qui colle aux semelles.
"Je n'arrête pas de dire à mon producteur Avi Lerner : "Il faut faire le film sur Poe !" déclarait encore l'acteur en 2013. "Est-ce qu'il a un pistolet ?" me répond-t-il. "Non, il n'a pas de revolver". "Est-ce qu'il peut lancer un couteau ?" me balance-t-il. "Non ! Il écrit de la poésie !"
Effectivement, cela doit quand même faire de la peine d'avoir un tel échange aussi ubuesque avec son producteur qui ne connait même pas un tel personnage... Ou alors il le cache bien.
"Ce qui me fascine chez Poe, c'est qu'il était un tel iconoclaste ! C'est une histoire de jeunes hommes ou de jeunes femmes qui pensent différemment, en dehors du système, qui ont été ostracisés ou marginalisés durant leurs vies par le système parce que jugés trop excentriques et / ou pas conformes aux normes sociales de l'époque.
Ça n'a pas marché pour Poe non plus. Son travail, son oeuvre ne correspondaient pas aux canons de l'époque. Trop en avance sur son temps. Il a pourtant jeté les bases de récits très modernes dans leurs formes ! C'était aussi un grand cryptologue [Cryptologie ou la science des secrets, regroupant la cryptographie et la cryptanalyse, ndlr], peu de codes lui résistaient. C'était un homme extraordinaire".
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il vend quand même plutôt bien son projet. Mieux, il avait en 2005 en tête une idée de casting pour endosser les habits de Poe : Robert Downey Jr. Le hic, c'est que le grand public, lui, ne semble pas autant fasciné que Stallone par le génial écrivain poète. En 2012, le film L'Ombre du mal par exemple (The Raven en VO), dans lequel John Cusack incarne l'écrivain, a été un échec assez cinglant.
Sly risque donc d'attendre encore un petit moment avant de sortir de sa besace le script de son film. Un script qu'il a, selon ses dires, "réécrit au moins 20 fois, au rythme d'une fois par an ou presque. Je le ressors régulièrement du tiroir" expliquait Stallone.
"Je le retravaille, fais des rajouts... Je le réaliserai, même s'il est évident que ce n'est pas le projet le plus hype... Quoi que je fasse, ça finira par exploser. Quand vous parlez et ressassez quelque chose pendant 30 ans, c'est impossible de rester dans cette attente, d'en rester là".
Avec une régularité de coucou suisse, il se rappelle toujours à son bon souvenir sur ce projet plus ou moins mis sous sédatif. "La route est longue avant d'atteindre ses objectifs, mais le jeu en vaut définitivement la chandelle... " écrivait Stallone en 2019 sur son compte Instagram, accompagnant une vidéo dans laquelle il dévoilait son espace de travail et, surtout, la première page d'un scénario consacré à Edgar Allan Poe.
Si Sly a depuis largement passé l'âge d'incarner l'écrivain-poète, il fut un temps, plusieurs décennies auparavant, où il en était question. Il a d'ailleurs posté en 2019 l'unique photo existante de lui, en essai de costume d'époque :
L'acteur s'honore à porter à bout de bras ce projet, envers et contre tout. Un peu comme il le fit il y a 45 ans avec un certain Rocky, auquel personne ne croyait. Sauf lui. En un sens, ce serait une superbe manière de boucler la boucle d'une riche carrière, pour un acteur au capital sympathie jamais pris en défaut.