My Name is Orson Welles, ainsi s’intitule l’exposition dédiée à l’auteur de Citizen Kane à la Cinémathèque Française. Une façon de plonger dans une vie héroïque et cabossée qui part des collines d'Hollywood et s’achève dans des vallées obscures et brumeuses. Orson Welles (1915 – 1985), homme de radio, acteur, réalisateur et… magicien. Surtout magicien. Il y tenait, peut-être parce que cette activité regroupait toutes les autres. Faire du cinéma n’est peut-être rien d’autre que de faire sortir des lapins d’un chapeau pour surprendre son monde.
Dans le documentaire disponible gratuitement sur Arte.tv, This is Orson Welles, de Clara et Julia Kuperberg, on entend ainsi le cinéaste Henry Jaglom expliquer comment il a persuadé Welles de jouer dans son court-métrage, A Safe Place en 1971 :
"Je suis arrivé dans sa chambre d’hôtel. Nous nous sommes assis et il faisait semblant de ne pas écouter en regardant le plafond (...) J’ai commencé à raconter mon histoire : 'Vous serez un magicien qui fait disparaître tout un tas de choses dans Central Park, mais il y a une seule chose qui lui résiste'. Welles s’est brusquement tourné vers moi et m’a demandé : 'Quoi donc ?', 'Vous le saurez si vous jouez dans mon film !' C’était gagné !"
L’expo de La Cinémathèque Française, plutôt anecdotique, ne parvient malheureusement pas à toucher du doigt cette part fantasque. Une part pourtant essentielle à la compréhension d’un cinéaste qui a l’image du Falstaff de Shakespeare qu’il a incarné dans l’un de ses plus grands films est resté un homme blessé et humilié par un roi dont il croyait être aimé pour ses extravagances. Welles tout aussi Don Quichotte, aura combattu les moulins à vent de l’industrie du rêve.
C’est le prototype même du cinéaste indépendant dans une industrie alors verrouillée à double tour par la politique omnipotente des studios. Un premier long-métrage sacrifié par ceux-là mêmes qui l’ont produit, Citizen Kane (1941), un deuxième mutilé, La Splendeur des Amberson (1942) et une vie nomade a essayé de joindre les deux bouts pour faire des films que pas grand monde ne voulait voir. C’est qu’avant Citizen Kane, "la caméra n’existait pas" selon l’expression géniale de Martin Scorsese dans le docu déjà cité, "les cinéastes essayaient au maximum de ne pas montrer les coutures de la mise en scène. D’un coup Welles faisait voler la caméra dans les airs !" Et dans le business du temps jadis, on ne faisait pas voler les choses impunément.
Deux arbres cachent l’imposante forêt wellesienne : son émission de radio où il a fait croire à une Amérique alors traumatisée par les Accords de Munich (1936) que les martiens avaient débarqué sur Terre et Citizen Kane (1941), son premier long-métrage considéré comme le plus grand film de tous les temps. Une fois passées ces deux balises, c’est un festin où tout un monde se reconfigure en permanence : films noirs déments (La dame de Shanghai, La Soif du mal), délires mégalomaniaques et expérimentaux (Dossier Secret, De l’autre côté du vent…), fièvres shakespeariennes (Othello, Macbeth, Falstaff…) sans oublier cet objet fascinant qu’est son adaptation du Procès de Kafka. Tout ça est à (re-)voir à la Cinémathèque jusqu’au 29 novembre le temps d’une imposante rétrospective.
Dans l’interview en fil rouge du film des sœurs Kuperberg, Welles revenu d’à peu près tous les affronts, conclut que le cinéma c’est "2% de création et 98% de prostitution". Mais la meilleure remarque pour comprendre la démesure qui habitait Orson Welles ce professionnel de l’autodestruction, vient de sa propre fille, Christopher. Elle explique que son père avait pleinement "conscience de sa grandeur". C’est à la fois un avantage et une malédiction. Qui était vraiment Welles ? Seule sa propre caméra pouvait voir en lui. C’était le message qu’il avait envoyé dès son premier film : Citizen Kane dont les dernières minutes constituent le plus gros retournement de situation de l’histoire du cinéma.
A voir :
Rétrospective à la Cinémathèque Française jusqu’au 29 novembre.
My Name is Orson Welles, exposition à la Cinémathèque Française
This is Orson Welles de Clara et Julia Kuperberg sur Arte.tv
A lire :
Moi, Orson Welles entretiens avec Peter Bogdanovich (Capricci)

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire