Plus effrayant qu’un monstre de film d’horreur, il y a la Motion Picture Association (ou MPA), la commission de censure américaine qui attribue aux films la redoutable classification NC-17. Celle-ci implique que les personnes en dessous de 18 ans ne sont pas autorisées à voir le film en salle. C’est la classification la plus élevée du système de la MPA pour les films distribués aux États-Unis.
C’est contre cette classification que Wes Craven a dû faire face lorsqu’il a réalisé le célèbre premier volet de sa saga légendaire. Au moment où il a terminé la production de Scream (1996), cela faisait 24 ans qu’il avait réalisé le brutal La Dernière maison sur la gauche, qu’il a dû également rééditer pour obtenir l’approbation de la MPA et la classification R espérée, celle qui signifie que les mineurs de moins de 17 ans doivent être accompagnés d’un adulte pour voir un film.
Dans les années 90, comme dans les années 70, la représentation de la violence dans le genre de l’horreur a fait l’objet d’un examen minutieux. Bien que Scream est depuis devenu le slasher de référence, il a d’abord été confronté à une bataille avec la MPA. Et même avant le début de son tournage, des critiques avaient déjà été formulées quant à la violence de son tueur iconique, Ghostface, si bien que le lycée choisi pour le tournage, le lycée de Santa Rosa, avait des inquiétudes concernant le meurtre d’adolescents dans le scénario.
Selon le documentaire Scream: The Inside Story (2011), le refus de la commission scolaire s’expliquait par un crime réel survenu dans la région en 1993, au cours duquel une jeune fille avait été enlevée puis retrouvée morte. Au cours des quelques années qui ont suivi, la douleur et la peur suscitées par cette tragédie étaient encore vives. Les adultes de la communauté se sont alors opposés à la production de Scream avec l’aide du lycée lors d’une réunion publique animée.
Dans The Inside Story, Wes Craven a parlé de la façon dont la communauté et les médias ont diabolisé la production. C’est pourquoi, dans le générique de fin de Scream, il s’est assuré d’ajouter la mention : “Aucun remerciement au conseil d’administration du district scolaire de la ville de Santa Rosa.” Mais ce n’est malheureusement pas là le seul problème qu’il a rencontré.
Une fois le tournage et le montage terminés, il a été question d’envoyer le film pour évaluation à la MPA : c’est là que Wes Craven a appris qu’il recevrait le redoutable NC-17, limitant considérablement le public susceptible d’aller voir le film au cinéma. Les meurtres de Ghostface devaient alors être minimisés pour réduire leur caractère macabre, ce que Craven a détesté faire, mais il n’avait pas d’autre choix. La scène d’ouverture est l’une des scènes les plus puissantes de la franchise – et du genre de l’horreur en général –, celle où Casey (Drew Barrymore) reçoit un appel téléphonique qui transforme sa soirée ciné en un adieu sanglant.
Cette séquence emblématique a dû cependant être considérablement rééditée. Dans la scène, le petit ami de Casey, Steve (Kevin Patrick Walls), est attaché sur une chaise devant la maison de cette dernière et est la première victime à l’écran de Ghostface – ainsi que la première victime de la MPA. Dans The Inside Story, Matthew Lillard a expliqué comment la scène d’un Steve mourant a dû être coupée : selon la commission, la vision des entrailles du personnage sortant d’une profonde blessure au couteau était trop graphique.
La MPA s’est ensuite attaquée au meurtre de Casey elle-même. Le scénariste Kevin Williamson a d’ailleurs déclaré à The Hollywood Reporter que “la séquence au ralenti de Drew Barrymore au début était un grand non-non. Ils détestaient ça. Ils ne voulaient pas qu’elle coure au ralenti et se fasse poignarder.”
La scène au ralenti où Casey est incapable de distancer Ghostface a été justement conçue pour être un moment de prise de conscience dévastateur. Dans le commentaire du DVD du film, Wes Craven a révélé comment il avait décidé de mentir à la MPA en leur disant que ce plan était la seule prise qu’ils avaient filmée, lui permettant ainsi de conserver la scène : une petite victoire suivie d’une autre défaite lorsque l’aperçu de Casey morte a dû être changé.
Le monteur Patrick Lussier en a parlé dans le documentaire Still Screaming: The Ultimate Scary Movie Retrospective (2011) : la dernière fois que Casey est vue, son cadavre est suspendu à un arbre et il a dû accélérer les images pour les faire approuver. C’est pourquoi la caméra semble soudainement foncer vers l’avant. À ce point, Wes Craven était frustré, surtout quand il a compris que la MPA avait aussi pour intention d’assainir son troisième acte…
La mort de Tatum (Rose McGowan) a fait partie de celles qui ont dû être raccourcies par ordre de la MPA. En effet, alors que la jeune femme tente de s’échapper par une chatière, son plan s’effondre rapidement lorsqu’elle est incapable d’y faire passer le reste de son corps... et que Ghostface active la porte du garage. Sa mort écrasante a dû être écourtée – bien qu’on ait perdu qu’une seconde ou deux de scène. Un autre décès majeur qui a été beaucoup plus affecté est celui du caméraman Kenny (W. Earl Brown) qui se fait trancher la gorge avec un couteau de chasse.
W. Earl Brown a évoqué le problème que la MPA avait eu avec cette scène dans The Inside Story : “Je me souviens du moment où Wes a dû revenir en arrière et enlever quelques images de la scène de la mort de Kenny parce qu’ils ont dit que l’expression sur mon visage était trop dérangeante, et cela a dû être coupé, et l’argument de Wes était : ‘C’est un meurtre, ça devrait être dérangeant.’” Ces quelques secondes s’attardaient en effet sur l’expression d’incrédulité de Kenny sur son visage alors que le compte à rebours de ses derniers instants a commencé. Si ce n’était pas déjà évident, Wes Craven voulait rendre son film d’horreur effrayant, et Scream se déroulant dans le “monde réel”, ces morts étaient censées être dérangeantes et déchirantes.
Et la bataille que le réalisateur a dû mener dans la salle de montage s’est par la suite répercutée sur la scène de la cuisine. Après que Billy (Skeet Ulrich) et Stu (Matthew Lillard) se révèlent être Ghostface, ils se poignardent l’un l’autre dans l’espoir de tromper la police. Ces plans du duo de tueurs ont dû être eux aussi raccourcis pour éviter de voir le couteau pénétrer leur chair. C’est pourquoi la réaction de Sidney intervient fréquemment dans la scène.
Enfin, outre la violence, une phrase clé a elle aussi fait partie de la censure de la MPA, celle de Billy criant avec fierté : “Les films ne créent pas de psychopathes, les films rendent les psychopathes plus créatifs !” Patrick Lussier a évoqué cela face à The Hollywood Reporter : “C’est certainement la ligne de dialogue que la MPA a recherchée et a voulu retirer du film. C’était comme s’ils disaient : ‘Vous ne pouvez pas dire ce genre de vérité.’” Wes Craven a toutefois réussi à garder la phrase, mais ces quelques victoires importaient peu, car même avec tout ce montage, Scream n’était toujours pas en mesure d’obtenir une classification R…
Dans Still Screaming: The Ultimate Scary Movie Retrospective, Wes Craven a évoqué ses frustrations face à tout ce processus : “On n’obtient jamais de nom, on ne sait jamais qui a vu votre film, et bien souvent c’est un groupe différent à chaque fois. C’est donc assez horrible à gérer.” La production de Scream a finalement soumis 9 versions à la MPA avec peu de succès pour se rapprocher de la note dont elle avait besoin. Dans Scream: The Inside Story, le réalisateur a aussi expliqué comment chaque département impliqué dans le montage devrait être rappelé au travail pour s’adapter aux nouvelles directives, augmentant ainsi le budget, et il ne semblait pas que le film serait prêt pour sa date de sortie.
C’est finalement le producteur Bob Weinstein qui est intervenu, expliquant à la MPA que Scream était “une comédie, c’est une satire”. Cela a donné au film sa classification R, à la grande surprise de Wes Craven, mais pour son plus grand plaisir. Finalement, pour une franchise centrée sur les appels téléphoniques, il en fallait un pour que Scream obtienne l’approbation nécessaire… Même si le film n’est pas devenu un succès au box-office du jour au lendemain lors de sa sortie, le résultat a été lentement explosif. Le long métrage est en effet resté dans les salles pendant des mois, faisant revivre le genre de l’horreur, en particulier celui du slasher que l’on pensait mort. La suite vous la connaissez : elle appartient à l’histoire.
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