Chaque année, le Festival de Cannes regarde le présent dans les yeux à travers les films qu'il accueille, ouvre une porte sur l'avenir en révélant certains des talents de demain et n'oublie pas de célébrer le passé. En remettant une Palme d'Or honorifique à une légende du 7ème Art (Robert de Niro aujourd'hui, Tom Cruise, Jodie Foster ou George Lucas au cours des dernières éditions) ou grâce à sa sélection Classics qui créé un dilemme chez bon nombre de festivaliers, tiraillés entre l'envie de se confronter à tous les longs métrages en Compétition et le désir de (re)voir des classiques sur grand écran.
Depuis plusieurs éditions maintenant, le Festival nous offre une pré-ouverture en mettant à l'honneur une restauration, projetée à quelques heures du coup d'envoi officiel de la manifestation. A un mois de son centenaire, prévu le 26 juin dans quelques 500 salles à travers le monde, c'est La Ruée vers l'or qui était l'heureux élu cette année. Ce qui, sur le papier, paraissait un poil moins événementiel que le Napoléon d'Abel Gance, monument dont le montage imaginé par son réalisateur était longtemps resté invisible, là où la moitié des spectateurs présents ce mardi 13 mai avait déjà vu l'opus de Charles Chaplin.
Mais ça n'était qu'un faux-semblant. Car le film que nous connaissions n'était pas celui projeté pour la première fois le 26 juin 1925, mais la version de 1942, raccourcie et sonorisée par son réalisateur lui-même, qui avait ensuite procédé à la destruction des négatifs du montage original. Lequel renaît aujourd'hui, grâce aux efforts conjugués du BFI National Archive, de Blackhawk Films, de la Collection Lobster Films, Das Bundesarchiv, la Filmoteca de Catalunya, le George Eastman Museum et ou encore le Museum of Modern Art (MoMA), qui possédaient des éléments manquants.
D'une durée qui atteint désormais les 95 minutes, le long métrage est plus beau qu'il ne l'a jamais été pendant plus de 80 ans. "On va voir avec cette restauration en 4K si vous réussissez à distinguer la fausse neige de la vraie", a dit l'un des descendants du cinéaste en ouverture de la projection, en référence au fait que Charles Chaplin avait dû revoir ses plans de tournage en décor naturel pour se rabattre sur des prises de vues en studio, alors que quelques rares plans en extérieur (le tout premier notamment) sont visibles dans le montage.
Mais il faut le savoir, car le film est sublime, avec une qualité d'image qui fait notamment ressortir le maquillage blanc comme neige du prospecteur qu'il incarne, au milieu des visages noircis des hommes qui l'entourent, dans cette fable qui se déroule en 1898, dans le Klondike, mais reste très actuelle car elle "parle de la cupidité, du désir de l'argent, donc d'aujourd'hui", précise Arnold Lozano, directeur de Roy Export SAS, en préambule. Ce qui accentue l'universalité de La Ruée vers l'or (et du cinéma de Chaplin en général), qui a suscité bon nombre d'éclats de rire.
Outre l'efficacité de ses gags ou la poésie de la célèbre séquence des petits pains, l'une des plus célèbres de la carrière de son auteur, ce qui frappe en (re)voyant le film, c'est son mélange quasi-parfait entre légèreté et gravité. Le metteur en scène n'occulte rien de la violence ni de la dureté de l'époque qu'il dépeint, lorsqu'il montre les situations extrêmes auxquelles la faim pousse ses personnages (spoiler : manger leurs chaussures mais pas seulement), mais les élève grâce à son don pour la comédie, bien souvent physique, et son imparable sens du gag qui n'a pas pris une ride.
"C'est avec ce film que Chaplin voulait qu'on se souvienne de lui", a conclu Thierry Frémaux au moment de lancer la projection et le 78ème Festival de Cannes de bon nombre de spectateurs. Si l'on cite plus souvent Les Temps modernes ou Le Dictateur lorsqu'il est question de sa carrière, une chose est sûre : on se souviendra de cette séance et de ce sentiment d'assister à un petit miracle de cinéma en même temps qu'à la résurrection d'un classique que l'on ne pensait jamais voir ainsi.

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