23 février 2022

Titane : pourquoi la Palme d'Or n'est pas nommée au César du meilleur film ?

“La monstruosité, qui fait peur à certains et qui traverse mon travail, c’est une arme et c’est une force”. Sur la scène du Grand Théâtre Louis-Lumière, le 17 juillet 2021, la cinéaste Julia Ducournau marque l’histoire du Festival de Cannes. Son film, Titane, remporte la Palme d’or de la 74e édition. Elle devient la seconde femme à recevoir le prix tant convoité, vingt-huit ans après Jane Campion pour La Leçon de piano.

La victoire est d’autant plus mémorable qu’elle récompense une œuvre extrême et viscérale. Le jury, présidé par Spike Lee, déjoue le scénario habituel des palmarès et met à l’honneur un cinéma transgressif. Cette consécration bouleverse la vie de la réalisatrice et permet à la France de rayonner, une fois de plus, à l'international.

Pour la 47e soirée des César, organisée ce 25 février 2022, Titane est nommé à quatre reprises : meilleure réalisation (Julia Ducournau), meilleur espoir féminin (Agathe Rousselle), meilleure photographie (Ruben Impens) et meilleurs effets visuels (Martial Vallanchon). Aucune nomination, en revanche, pour le meilleur film. C’est la première fois, depuis la création de la cérémonie, qu’une Palme d’or française n’est pas nommée dans cette catégorie.

De toute évidence, le choix d’un jury n’est pas comparable à un corps électoral comme celui de l’Académie. En 2022, 4363 électeurs inscrits ont pu participer aux votes. Néanmoins, une telle absence pose question. Titane paye-t-il le prix de sa radicalité et du manque de reconnaissance fait aux films dits “de genre” lors des cérémonies de prix ?

“Quoi qu’on pense de Titane, ce n’est pas justifié”, regrette Arthur Harari, réalisateur d’Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, rencontré à l’occasion du déjeuner des nommés le 6 février dernier. Contacté par AlloCiné, Jean-Christophe Reymond, le producteur du film, ne s’étend pas sur le sujet : “C’est le jeu des cérémonies, on l’accepte.”

De son côté, François Cau, journaliste pour le magazine Mad Movies, observe “une forme de résistance face à l’évolution des regards” au sein de l’Académie : “On a pu observer, en 2020, un mouvement que l’on pourrait qualifier de conservateur dans la récompense offerte à Roman Polanski pour un film plutôt convenu.”

Il poursuit : “J’aurais tendance à considérer que Titane paie de fait son statut d’objet dans “l’air du temps”, réalisé par une femme, parlant de transidentité sous un jour qui n’a rien à voir avec le soi-disant misérabilisme bien-pensant tant vilipendé en ce moment. Il paie aussi sa facture hybride, ni tout à fait un film de genre, ni tout à fait un film d’auteur. Ce que je considère comme une qualité a pu être vu comme un défaut.”

Présente au déjeuner des nommés, Julia Ducournau fait peu de cas de cette absence. Elle se réjouit surtout des quatre nominations récoltées par le film et souligne le talent d’Agathe Rousselle, comme celui de son équipe technique : “Je suis notamment très heureuse pour Ruben Impens, dont le travail pour Titane a été reconnu à l’international.” Le chef opérateur belge est nommé par l’American Society of Cinematographers - organisation qui met à l’honneur les directeurs de la photographie.

Alors qu’il poursuit son chemin à travers le monde, le film continue d’être célébré. Le 15 mars prochain, la cinéaste est attendue aux BAFTAs - l’équivalent britannique des Oscars. Elle est nommée dans la catégorie “meilleure réalisation” aux côtés d’une autre Française, Audrey Diwan pour L’Événement. “Dès l'annonce, on s’est tout de suite appelées pour se féliciter”, raconte Julia Ducournau, comblée, au micro d’AlloCiné.

Là encore, un fait historique : c’est la première fois que deux cinéastes françaises sont nommées ensemble dans cette catégorie. Avant elles, les seuls Français à avoir été nommés aux BAFTAs sont François Truffaut, Louis Malle, Roman Polanski, Jean-Pierre Jeunet et Michel Hazanavicius.

Plus de sept mois après la Palme d’or, Jean-Christophe Reymond tire un bilan de la carrière de Titane : “En tant que producteur, j’ai pris beaucoup de risques car je croyais profondément au talent de Julia et au film qu’elle voulait faire. On a eu très chaud en termes de production et on a eu la chance d’être récompensé pour cela.”

Fidèle à la réalisatrice depuis son court métrage Junior, il qualifie leur collaboration “d’aventure incroyable” : “C’est génial de grandir et de faire tout ce chemin ensemble.” Pour le troisième long métrage, actuellement en écriture, il laisse sa place au producteur de Grave. “Nous alternons à tour de rôle”, ajoute-t-il.

Malgré quelques épiphénomènes, François Cau regrette, quant à lui, que l’industrie française peine encore à comprendre le cinéma de genre : “Dans une époque cynique à souhait, ça fait un bien fou de voir un film au premier degré assumé, tout en sortie de route où il est impossible de savoir où va le récit.” Il conclut : “J’aime le genre justement parce qu’il est vecteur de liberté, qu’il ne rentre pas dans des cases et autorise presque tout. Et ça, Julia Ducournau l’a très bien compris.”

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