On dit souvent que la réalité rejoint parfois la fiction, au point de se confondre. Une formule qui semble cousue main pour un film très rare, invisible depuis des années, et n'a d'ailleurs jamais été édité en DVD chez nous : Objectif vérité (Medium Cool en VO).
Ce fut le tout premier film signé par un homme jusque-là réputé pour être un immense directeur de la photographie : Haskell Wexler, qui sera deux fois oscarisé, et à qui l'on doit la photo de classiques comme Dans la chaleur de la nuit, Qui a peur de Virginia Woolf, Vol au-dessus d'un nid de coucou, L'Affaire Thomas Crown, l'extraordinaire Matewan, Conversation secrète de Francis Ford Coppola... Pas exactement le profil du débutant.
A l'origine, le script de Wexler devait mettre en scène un drame romantique, entre un reporter TV (joué par Robert Forster) et une jeune femme, veuve de guerre (incarnée par Verna Bloom). Rien de politique, si ce n'est que l'intrigue se déroulait à Chicago, en 1968.
Wexler se trouvait à ce moment là sur place, durant la traditionnelle convention démocrate pour désigner le futur candidat du parti aux prochaines élections présidentielles. Les mouvements de revendications et de protestations profitèrent du contexte pour converger eux aussi à Chicago au même moment, du 26 au 29 août.
Le Chicago Police Department, la police municipale du maire Richard Daley, était alors sur les dents. La ville avait connu d'importantes émeutes raciales après l'assassinat de Martin Luther King, en avril 1968. Le maire de la ville a donc voulu protéger la réputation de Chicago lors de la convention du parti démocrate, en appelant 12.000 soldats et gardes nationaux en renfort.
C'est dans ce climat de très hautes tensions que les délégués du parti s'apprêtaient à choisir le candidat qui s'opposerait au républicain Richard Nixon, lors des élections de novembre 1968. L'affrontement avec les manifestants, inévitable, fut particulièrement brutal. Le bilan ? 1 mort, 192 policiers blessés dont 49 seront hospitalisés, 668 arrestations. Ces événements, dramatiques, ont débouché sur le procès très médiatisé des Chicago Seven, qui est d'ailleurs l'objet du formidable film Les Sept de Chicago.
Une semaine avant le début de la production, Wexler appela, paniqué, le studio Paramount, qui produisait son film. La convention avait commencé et Chicago était en état de guerre. "Je suis témoin d’une histoire bien plus dramatique et importante que mon scénario original. Je veux tourner ça. Vous recevrez un nouveau script dans une heure. C’est explosif. C'est la réalité, pas la fiction. J'appellerai plus tard ce soir". Robert Evans, le patron de Paramount, acceptera la modification du script, tout en lâchant un "Ce n’est pas ainsi que nous devrions faire les choses, mais bon, ça marche jusqu’à présent".
Wexler et son équipe, acteurs compris, se jetèrent littéralement dans la mêlée. Dans la dernière partie du film, les personnages principaux se trouvent en dehors de la convention démocrate et dans la ligne de mire de la Garde nationale, parmi la masse des manifestants qui s'affrontent avec la police de Chicago. L'équipe du film a même été aspergés de gaz lacrymogènes.
Dans son passionnant billet écrit sur le site Deadline, Peter Bart, qui fut l'un des executives de la Paramount et avait donné son feu vert aux changements de plans de Wexler pour son film, raconte que Medium Cool crispa les pontes du conglomérat Gulf & Western, qui était à l'époque le propriétaire du studio. En particulier son président, Charles Bluhdorn. "Le conseil d'administration ne souhaite pas que Medium Cool soit distribué par Paramount" lâcha ce dernier à Robert Evans.
"Deux membres de son conseil d'administration avaient été les principaux donateurs et dirigeants du Comité national démocrate. Ils pensaient que Medium Cool déclencherait d'intenses critiques publiques à l'égard du parti, mettant en lumière sa mauvaise et grave gestion de la convention, et sa confusion sur le choix des candidats" écrit Peter Bart.
Malgré l'accueil critique de la Presse, très enthousiastes à l'égard du film (le fameux et influent critique Roger Ebert le classa même second meilleur film de l'année), la carrière en salle de Medium Cool fut torpillée par la MPAA, l'organisme de classification des films, en le frappant d'un infâmant classement X en 1969, avant d'être classé "R" l'année suivante avec le nouveau changement de la classification des films.
Paramount a soutenu le film de Wexler, mais à très bas bruit, sous les radars. Tellement que, selon Peter Bart, "le porte-parole de Paramount était réticent pour confirmer que le film ait même jamais été fait". La postérité s'est quand même chargé de rendre justice à l'oeuvre. En 2003, le film a été sélectionné pour entrer dans la prestigieuse Bibliothèque du Congrès américain.
Pour découvrir cette rareté jamais éditée chez nous, il vous faudra vous tourner vers l'import. Le prestigieux éditeur Criterion a sorti le film en 2013, dans une superbe édition. Qui sera hélas réservée aux plus anglophones d'entre vous.
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