Avec le recul, le choix de Michael Keaton pour le rôle de Batman/Bruce Wayne dans le blockbuster de Tim Burton de 1989 est une évidence. Ténébreux, conflictuel et maladroitement charismatique, la performance de l’acteur dans la peau du super-héros adoré de DC a placé la barre très haut pour les itérations suivantes – un rôle qu’il reprendra dans Batman, le défi et The Flash en 1992 et 2023, respectivement. Bien que plusieurs autres acteurs aient incarné le héros depuis, son interprétation du personnage a perduré auprès du public, certains la louant comme l’une des meilleures de la franchise.
Et pourtant en 1988, suite au succès de la réinterprétation sombre du personnage de Frank Miller dans la bande dessinée bien-aimée, The Dark Knight Returns, les fans avaient envie d’une approche sombre et maussade de tout ce qui touchait à Batman. En conséquence, lorsque Michael Keaton a été annoncé comme ayant devancé certaines stars majeures pour le rôle convoité dans le film très attendu de Tim Burton, son casting a été accueilli avec scepticisme par les fans dévoués en raison de la réputation de l’acteur pour ses rôles comiques.
Michael Keaton était en effet un choix “audacieux” comme il l’a lui-même récemment déclaré dans une récente interview rétrospective de sa carrière pour le magazine GQ : “Quand ils ont dit ‘Nous pensons faire Batman’, j’ai dit : ‘Attendez, vous pensez faire un film sur Batman ?’”, a déclaré Keaton. “Le fait que Tim ait dit : ‘Ce type, je veux ce type’… Le fait que les gens s’en soucient autant d’une manière ou d’une autre est toujours déconcertant. Mais c’était un geste audacieux de sa part. Nous avions aussi une bonne relation de travail depuis Beetlejuice, donc il sentait que lui et moi pouvions nous entendre et travaillerions bien ensemble.”
Mais la réaction négative à son casting a été rapide et féroce. Selon Vulture, Warner Bros. a été inondé de dizaines de milliers de lettres pleines de colère, tandis que les tabloïds ont capitalisé sur la controverse avec des titres en première page. Certains fans interrogés, eux, n’ont pas manqué de le traiter de “mauviettes”, de critiquer sa carrure pas assez musclée et son côté pas assez “macho".
Face à la controverse, Tim Burton s’est précipité pour défendre son acteur principal, déclarant au New York Times : “J’avais envisagé de très bons acteurs à la mâchoire carrée, mais je ne les voyais pas enfiler un costume de Batman. Vous regardez Michael et vous voyez toutes sortes de choses se passer à l’intérieur.”
En parallèle, craignant que la réaction négative au casting de Michael Keaton puisse affecter l’accueil du film, Warner Bros. n’a pas non plus perdu de temps pour tenter d’apaiser les inquiétudes des fans. Le studio a notamment mandaté le co-créateur de Batman, Bob Kane, chargé de donner au film un soutien retentissant. Ce dernier a ainsi décrit le méchant Joker (Jack Nicholson) comme “un tueur maniaque” et a déclaré au Wall Street Journal : “Le film n’est pas du tout une comédie. Ce sera un mélodrame lourd.” Jeff Walker, consultant marketing chez Warner Bros., a fait écho aux sentiments de Kane, affirmant que malgré quelques rires occasionnels grâce au personnage de Nicholson, “rien à propos de Batman n’est une blague.”
Malgré ces déclarations de la part d’initiés, ce n’est finalement qu’à la sortie de la bande-annonce du film que les avis ont commencé à changer – et que l’attente s’est créée alors qu’une frénésie marketing, la “Bat-Mania”, s’est emparée des fans. Bien que plutôt minimalistes, ces premières ont donné au public un aperçu du héros, de son ennemi juré, de la Batmobile et de Gotham City et le tour était (presque) joué. Comme le rapportait le New York Times en avril 1989, la bande-annonce a été accueillie par “des applaudissements et souvent des acclamations avec sa succession d’images électrisantes.”
Avec la machine marketing d’Hollywood qui tournait à plein régime, Batman est sorti en salles le 23 juin 1989, engrangeant 40 millions de dollars et établissant le record du week-end d’ouverture le plus rentable de l’époque. Largement salué par le public et les critiques, le film est devenu le plus gros succès de l’année en rapportant 411 millions de dollars au box office mondial et en décrochant un Oscar pour ses décors.
Quant à Michael Keaton, les fans jusque-là pessimistes ont fini par oublier ou par renoncer à leur indignation concernant son casting, notamment face au succès massif du film. Et alors que le film a reçu un People’s Choice award en 1990, c’est sur scène, lors de son discours d’acceptation aux côtés de Jack Nicholson, que Michael Keaton a décidé de faire taire ses détracteurs.
“Je veux aussi dire quelque chose en réponse à tous les gens qui écrivaient ces notes, qui envoyaient ces cartes et ces lettres, vous savez, qui disaient que je ne pouvais pas faire le travail. Et j’aimerais juste dire, quand vous venez d’une famille comme la mienne et que vous venez d’où je viens, tout ce que vous avez à faire c’est de me dire ‘non bébé’. Alors continuez à envoyer ces cartes et ces lettres.”
Remerciant toutes les personnes impliquées dans le film et ceux qui ont aidé son rêve à devenir réalité, Michael Keaton a quitté la scène après avoir répondu de la meilleure façon possible : en critiquant ses ennemis avec sarcasme et en laissant Jack Nicholson bouche bée !
L’année dernière Mark Hamill a déclaré au magazine Wired que la réaction négative à laquelle Keaton a dû faire face concernant son casting pour Batman est en partie ce qui l’a inspiré à accepter le rôle de la voix du Joker dans Batman : la série animée, diffusée de 1992 à 1995. Hamill a été largement acclamé et adoré par les fans pour sa performance dans le rôle du méchant de Batman. Voir Keaton surmonter la réaction négative pour devenir un Batman emblématique a donné à Hamill la confiance dont il avait besoin pour que les fans de bandes dessinées soient prêts à accepter l’acteur de Luke Skywalker dans le rôle du Joker.
“J’avais une confiance qui m’a vraiment aidé car il y avait ce grand tollé autour du fait que Michael Keaton allait jouer Batman”, a déclaré Hamill à l’époque. “‘Oh, c’est M. Mom, c’est un acteur comique.’ Je veux dire, ils ne l’avaient même pas vu [dans le rôle] et ils ne savaient pas à quel point il allait devenir génial. Mais il y a eu une grande controverse.”
Des décennies plus tard, l’interprétation du héros par Michael Keaton continue de susciter des éloges tandis que les nouvelles incarnations du héros, elles, restent toujours un sujet controversé – Ben Affleck ou Robert Pattinson par exemple – avant que le public ne se laisse convaincre une fois le projet terminé.
L’acteur, en pleine promotion de Beetlejuice Beetlejuice a d’ailleurs récemment partagé une anecdote sur le plateau du Tonight Show de Jimmy Fallon racontant la réaction inestimable d’un enfant après l’avoir vu dans un aéroport peu de temps après la sortie de Batman. Le petit garçon, qui était tout fou auprès de ses parents, s’est arrêté net une fois qu’il a repéré l’acteur, comme l’a expliqué ce dernier en imitant l’enfant passant d’une expression joyeuse à la surprise totale envahissant son visage. Michael Keaton a poursuivi en disant qu’il avait sûrement dû dire à ses parents qu’il avait vu Batman mais que ces derniers n’ont pas dû le croire.